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Épisode 7

Où l’on retrouve les bijoux

XX

Chaussures et Boîtes à couleurs


Lorsque Clara Skinner réintégra sa demeure, il faisait grand jour.

Personne — elle le croyait du moins — ne la vit franchir le seuil de sa maison.

Elle monta chez elle, traversa l’antichambre dans s’arrêter et pénétra directement dans sa chambre à coucher.

C’était une pièce assez vaste, sobrement, mais élégamment meublée. Dans un angle, un Bouddha de grandeur naturelle, les pouces joints sur son ventre poli, semblait perdu dans les délices du Nirvana. C’était, avec la pendule représentant l’inévitable groupe des Trois Grâces de Pradier et quelques tableaux accrochés aux murs, le seul objet d’art que l’on pouvait voir en ce lieu.

Clara jeta un regard sur le lit, avec une légère hésitation. Comme il ferait bon dormir après une nuit si agitée !

Mais elle n’était pas femme à se laisser aller aux douceurs du repos, même après les plus violentes émotions.

— Pensons aux affaires sérieuses, murmura-t-elle. S’installant dans un fauteuil, elle prit sur ses genoux son sac de voyage, qu’elle ouvrit le plus posément du monde.

— C’est Sam qui va être content ! continua-t-elle à mi-voix, en retirant un par un les bijoux dérobés. C’est vraiment du travail sérieux.

Elle soupesa chaque objet d’une main experte.

— Et ce n’est pas du toc. Voilà un collier de perles dont je ferais bien mes dimanches.

Coquettement, elle mit le collier autour de son cou et vint se mirer devant la glace de l’armoire.

— Et je ne le porterais pas plus mal que la femme de ce gros marchand de salaisons à qui je l’ai… emprunté.

Elle soupira.

— J’aurai mon tour aussi.

Et, ouvrant le bas de l’armoire, elle en tira une paire de jolis souliers solidement munis de hauts et larges talons droits.

— C’est bien celui du pied gauche…

Prenant la bottine, elle fit, dans sa main, pivoter le talon, qui se dévissa lentement, mettant à jour l’intérieur qui était complètement creux.

Dans ce creux, Clara plaça délicatement les bijoux dérobés, puis elle revissa soigneusement le talon et enveloppa la paire de chaussures dans un large morceau de papier gris qu’elle ficela solidement.

Ensuite, refermant le sac de voyage, elle le plaça sous le Bouddha de bois, qu’elle fit basculer sans effort…

— Et maintenant, dit-elle, avertissons Sam du résultat de ma mission et annonçons-lui ma prochaine visite.

L’appareil téléphonique était à portée de sa main.

— Allo ! C’est moi… oui… moi-même ! Tout a bien marché… Comme sur des roulettes… J’arrive dans un quart d’heure…

Elle raccrocha le récepteur.

Elle se dirigea vers la fenêtre, qu’elle ouvrit. Le temps était maussade et une petite pluie fine commençait à tomber. Néanmoins, Clara Skinner resta accoudée quelques instants à la barre d’appui, laissant la fraîcheur du matin baigner son front alourdi et ses yeux gonflés par l’insomnie.

Tout à coup, elle se rejeta en arrière.