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La gouvernante aida Mme Travis à mettre son manteau et à monter en auto. Puis Mary parcourut le bal de salle en salle, sans apercevoir celle qu’elle cherchait. Elle ne songea pas à se rendre au fumoir, pièce écartée et dont elle ignorait l’existence. Enfin, lasse de chercher, elle fit halte dans le grand salon de repos, toujours désert, et s’assit, pour se reposer un instant, dans un immense fauteuil en tapisserie. Mary était très fatiguée, le fauteuil était moelleux, la lumière était atténuée, le bruit du bal et la musique de l’orchestre se fondaient en une harmonie berceuse : la gouvernante peu à peu s’assoupit au fond du large siège qui la dissimulait.

Soudain, un bruit léger réveilla Mary. Elle tourna la tête et vit une femme debout au fond de la pièce, près d’une statue de bronze portant un flambeau. Mary tressaillit, retint son souffle et, se pelotonnant dans le fauteuil, s’y cacha de son mieux tout en continuant à observer l’inconnue. Ce que faisait celle-ci lui semblait suspect.

L’inconnue, une jeune femme au corsage de velours noir très décolleté, se tenait droite et immobile au pied de la statue. Elle jeta autour d’elle un rapide coup d’œil pour s’assurer que personne ne l’observait. Elle ne vit pas Mary dans sa cachette, et, tranquille, retira d’une poche de sa robe un collier terminé par un pendentif, que Mary crut reconnaître. L’inconnue mit le bijou dans une bourse qu’elle sortit de son corsage et qu’elle y replaça ensuite.

Après quoi, élevant sa main droite devant ses yeux, elle la regarda un moment. Mary eut un sursaut de stupeur : sur cette main, il y avait, semblable à celui qui parfois marquait la main de Florence, un Cercle Rouge.

La femme au corsage de velours noir sourit d’un sourire ambigu, dur et sarcastique. Elle eut un petit haussement d’épaules satisfait et étendant la main, prit derrière l’un des pieds de bronze de la statue porte-flambeau divers objets qui s’y trouvaient cachés. C’étaient une petite boîte qu’elle mit dans sa poche, une éponge et une fiole. Elle imbiba l’éponge du liquide contenu dans la fiole et, avec soin, effaça de sa main le Cercle Rouge qui y était marqué. Mary, haletante, la regardait faire.

Lorsque ce fut fini et que sa main ne présenta plus aucune trace anormale, l’inconnue enfouit dans sa poche la fiole et l’éponge et, sans hâte, se dirigea vers la porte qui s’ouvrait dans la direction du vestibule de sortie.

Lorsqu’elle se fut éloignée, Mary, toute tremblante de ce qu’elle avait vu, quitta son fauteuil et s’approcha de la statue pour vérifier si l’inconnue n’avait abandonné aucun objet sur le socle.

Pour arriver à ce coin du salon, elle passa devant l’une des fenêtres, qui donnait sur une large galerie extérieure. Soudain, la fenêtre fut poussée silencieusement. Rapide comme la pensée, un homme, qui sans doute était tout exprès posté en vigie au dehors, sauta dans la pièce. Mary eut à peine le temps de distinguer qu’il était jeune et qu’il avait l’apparence d’un garçon d’hôtel avec son tablier bleu et ses manches de chemise retroussées sur ses bras nus. Sans un mot, sauvagement, il la frappa au menton d’un coup de poing terrible. La pauvre femme tournoya sur elle-même et roula par terre évanouie.

L’homme, pour la dissimuler, poussa devant son corps allongé, inerte, sur le tapis, deux des fauteuils du salon, puis, comme il était venu, disparut par la fenêtre, qu’il referma du dehors aussi silencieusement qu’il l’avait ouverte.