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appela du geste un gros homme d’une quarantaine d’années, haut en couleur, portant de gros bijoux voyants et qui avait l’aspect et les manières d’un courtier en marchandises. Il s’avança avec empressement.

— Je vous présente M. Strong, ma chère Maud, dit le pseudo-Davis. Monsieur Strong, ma sœur, Mme Meldon.

Le gros homme s’inclina, ils causèrent quelques instants tous les trois, puis M. Strong, visiblement impressionné par la soi-disant Maud Meldon, à laquelle il jetait des regards troublés par le champagne et enflammés par l’admiration, offrit son bras à la jeune femme pour la conduire au buffet.

— Cette tête est charmante, lui dit Clara, qui affectait de plus belle des airs nonchalants et langoureux, mais qui observait en dessous avec une attention aiguë son cavalier.

— Oui, maintenant, elle est charmante, dit avec ardeur le gros homme. Ah ! mistress Meldon, lorsque je vous ai vue, les lustres… non, c’est-à-dire la lumière… Bref, quand ce charmant jeune homme, M. Davis, votre frère… Sait-il combien il est heureux d’être votre frère ?… Mais non, je me trompe, ce n’est pas ce sentiment fraternel… auprès de vous… que l’on souhaite…

Il s’embarrassait dans des galanteries compliquées et fougueuses qu’il estimait de la plus parfaite grâce. Clara l’écoutait avec des regards en coulisse et des rires retenus qu’il prenait pour un encouragement. Il risqua une déclaration pathétique, et l’aventurière prit une mine confuse qui le ravit. Au buffet, elle trempa ses lèvres dans un verre d’orangeade et il avala quatre ou cinq gobelets de champagne. Clara en profita pour se rapprocher d’une grosse dame qui, toute constellée de bijoux, scintillait comme un soleil. Puis, M. Strong et sa conquête passèrent dans une petite serre à demi obscure où le gros homme, exalté par le champagne et sa passion naissante, devint lyrique. Clara le laissait dire, riait toujours, mais avec une confusion savamment accrue, en sorte que M. Strong, tout à fait séduit, lui offrit de l’enlever.

Quelques minutes après, seule, elle rejoignit dans un petit salon le jeune homme roux qui l’attendait.

— Voilà la clé de sa malle, lui dit-elle très vite, en lui glissant à la dérobée une petite clé. Je la lui ai prise sous prétexte de regarder une médaille à sa chaîne de montre. Vous savez où est sa chambre ?

— Oui, la mienne est tout près. L’écrin est dans sa malle, qui est blindée comme un coffre-fort. Mais lui, où est-il ?

— Il va m’attendre dans un bosquet du jardin. Je lui ai donné rendez-vous pour dans une demi-heure d’ici. Il patientera bien une autre demi-heure avant de penser que je me suis moquée de lui… s’il pense jamais cela… Donc, ne vous pressez pas, vous avez tout le temps… Vous porterez les pierres à Sam comme d’habitude. Maintenant bonsoir, nous n’avons plus besoin de nous parler. Je vais m’occuper du Cercle Rouge.

Pendant que le jeune homme roux faisait un tour dans la salle de bal, avant de remonter furtivement vers la chambre de l’infortuné Strong qui, dans les jardins, attendait déjà sa conquête. Clara Skimer se dirigea vers un grand salon tendu de tapisseries et meublé de grands fauteuils confortables à dossier très élevé. C’était une pièce de repos qui était entièrement déserte.

Clara, d’un coup d’œil, s’assura que personne autre qu’elle ne s’y trouvait ; elle alla soulever une portière au fond de la pièce, inspecta le dehors, et, rassurée, revint dans un angle du salon où se trouvait, sur un socle, un bronze représentant un