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trine nue, et faisant des efforts pour se dégager des fumées de chloroforme qui l’étourdissent. Il respire plus vite… il souffle… Il reprend conscience… Ses lèvres s’agitent… Déjà Clarisse Mergy murmure :

« — C’est moi… c’est moi, Clarisse… tu veux répondre, misérable ? »

Elle a posé son doigt sur la poitrine de Daubrecq, à la place où le cœur remue comme une petite bête cachée sous la peau. Mais elle me dit :

« — Ses yeux… ses yeux… je ne les vois pas sous les lunettes… Je veux les voir… »

Et moi aussi, je veux les voir, ces yeux que j’ignore… Je veux voir leur angoisse et je veux lire en eux, avant même d’entendre une parole, le secret qui jaillira du fond de l’être épouvanté. Je veux voir. Je suis avide de voir. Déjà l’acte que je vais accomplir me surexcite. Il me semble que, quand j’aurai vu, le voile se déchirera. Je saurai. C’est un pressentiment. C’est l’intuition profonde de la vérité qui me bouleverse. Le lorgnon n’est plus là, mais les grosses lunettes opaques y sont encore. Et je les arrache brusquement. Et, brusquement, secoué par une vision déconcertante, ébloui par la clarté soudaine qui me frappe, et riant, mais riant à me décrocher la mâchoire, d’un coup de pouce, hop là ! je lui fais sauter l’œil gauche !

M. Nicole riait vraiment, et, comme il le disait, à s’en décrocher la mâchoire. Et ce n’était plus le timide petit pion de province onctueux et sournois, mais un gaillard bien d’aplomb, qui avait déclamé et mimé toute la scène avec une fougue impressionnante et qui, maintenant, riait d’un rire strident que Prasville ne pouvait écouter sans malaise.

— Hop là ! Saute, marquis ! Hors de la niche, Azor ! Deux yeux, pourquoi faire ?