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— Ah crénom ! murmura Lupin, il eût fallu prendre le rapide, il y a un instant ! Maintenant, il ne reste plus que les trains du soir. Et ils n’avancent pas ! c’est plus de trois heures que nous perdons.

Le temps leur parut interminable. Ils retinrent leurs places. Ils téléphonèrent au patron de l’hôtel Franklin qu’on renvoyât leur correspondance à Monte-Carlo. Ils dînèrent. Ils lurent les journaux. Enfin, à neuf heures et demie le train s’ébranla.

Ainsi donc, par un concours de circonstances vraiment tragique, au moment le plus grave de la lutte, Lupin tournait le dos au champ de bataille, et s’en allait, à l’aventure, chercher il ne savait où, vaincre il ne savait comment, le plus redoutable et le plus insaisissable des ennemis qu’il eût jamais combattus.

Et cela se passait quatre jours, cinq jours au plus avant l’inévitable exécution de Gilbert et de Vaucheray.

Cette nuit-là fut rude et douloureuse pour Lupin. À mesure qu’il étudiait la situation, elle lui apparaissait plus terrible. De tous côtés, c’était l’incertitude, les ténèbres, le désarroi, l’impuissance.

Il connaissait bien le secret du bouchon de cristal. Mais comment savoir si Daubrecq ne changerait pas, ou n’avait pas changé déjà de tactique ? Comment savoir si la liste des vingt-sept se trouvait encore dans ce bouchon de cristal, et si le bouchon de cristal se trouvait encore dans l’objet où Daubrecq l’avait d’abord caché ?

Et quel autre motif d’inquiétude en ce fait que Clarisse Mergy croyait suivre et surveiller Daubrecq, alors que, au contraire, c’était Daubrecq qui la surveillait, qui se faisait suivre et qui l’entraînait, avec une habileté diabolique, vers les lieux choisis par lui, loin de tout secours et de toute espérance de secours.