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comprennent pas et qui heurtent leurs sentiments et leurs instincts.

— Alors ?

— Alors on va se choquer, se faire du mal, et c’est une peine infinie pour moi.

Il s’était assis en un mouvement de lassitude. Elle se pencha sur lui :

— Ne perds pas courage. Je suis sûre que les choses s’arrangeront mieux que tu ne crois. Attends quelques jours… Rien ne presse, et tu auras le loisir de voir… de préparer…

Elle le baisa au front avec une tendresse profonde.

— Tout s’arrange quand tu parles, dit-il en souriant, et en se laissant caresser… Malheureusement…

Il n’acheva pas. En face de lui, il apercevait Suzanne qui les regardait tous deux. Elle était livide, une expression atroce de douleur et de haine tordait sa bouche. Il la devina prête à se jeter sur eux et à crier sa rage.

Il se dégagea vivement, et, s’efforçant de plaisanter :

— Bah ! qui vivra verra… Assez de jérémiades, n’est-ce pas, Suzanne ? Si l’on s’occupait un peu de mon installation ?… Mes affaires sont en ordre ?

Sa brusquerie étonna Marthe. Cependant elle répondit :

— Il n’y a plus que tes papiers, et j’aime toujours mieux que tu les ranges toi-même.

— Allons-y, dit-il gaiement.

Marthe traversa le cabinet de toilette et gagna la chambre de son mari. Philippe allait la suivre et, déjà, il touchait le seuil, quand Suzanne s’élança devant lui et barra la porte de ses bras étendus.

Ce fut si rapide qu’il eut un léger cri. De l’autre chambre, Marthe demanda :

— Qu’y a-t-il ?

— Rien, fit Suzanne, nous te rejoignons.

Philippe voulut passer. Elle le repoussa brutalement, et d’un tel air, qu’il céda aussitôt.