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— Ah !… dit-elle, tant mieux… tant mieux… Sans quoi, j’aurais été bien inquiète… Vois-tu… la pensée que tu aurais pu te battre !… recevoir des blessures… Ah ! ce serait horrible !

Elle l’attira contre elle avec une sorte de violence qui ravit Philippe, et l’embrassa comme il avait souhaité de l’être. Il fut sur le point de lui dire :

— Comprends-tu, mère chérie ?… Comprends-tu ce que j’ai tenté l’autre jour ? Des milliers et des milliers de mères vont pleurer… Si grandes qu’elles soient, nos douleurs intimes passeront. Celles qui vont naître demain ne passeront pas. La mort seule est irréparable.

Mais pourquoi des mots ? L’émotion de sa mère ne lui donnait-elle pas entièrement raison ?

Ils demeurèrent enlacés quelques instants, et les pleurs de la vieille dame coulaient sur les joues de Philippe.

À la fin, elle lui dit :

— Tu ne pars pas tout de suite, n’est-ce pas ?

— Le temps de remplir ma valise.

— Comme tu es pressé ! D’ailleurs, tu n’as pas de train à cette heure-là. Non, je veux t’embrasser encore et voir si tu as bien tout ce qu’il te faut. En outre, il est impossible que, Marthe et toi, vous vous quittiez ainsi. Je lui parlerai, à Marthe. Pour le moment, ton père a peut-être besoin de moi…

Il l’accompagna jusqu’à la chambre du malade et, comme elle avait pris en chemin, dans un placard, une pile de serviettes qui l’encombraient, elle lui dit :

— Ouvre-moi, veux-tu ?

Alors, de loin, il avisa son père, inerte, la figure très pâle, et Suzanne qui était assise au pied du lit. Distinctement il aperçut les marques rouges qui balafraient son menton et ses joues.

— Ferme la porte, Suzanne, dit Mme Morestal, une fois entrée.

Suzanne obéit. En s’approchant, elle vit Philippe dans l’ombre du couloir. Elle n’eut