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prononcées après avoir écouté les explications du statthalter.

Il désigna l’un des journaux.

— Tiens, mère, lis ceci, ce sont les paroles mêmes de l’empereur : « Maintenant, notre conscience est tranquille. Nous avions la force : nous avons le droit. Que Dieu décide ! Je suis prêt. » Et la Chambre, en désavouant et en renversant un ministère prêt à la conciliation, a voulu répondre à des paroles qu’elle jugeait provocantes.

— Soit, dit la vieille dame, mais tout de même le rapport n’a rien empêché.

— Non, en effet.

— Alors, à quoi bon toutes tes histoires ? Ce n’était pas la peine de faire tant de mal puisque cela n’a servi à rien.

Philippe hocha la tête.

— Il le fallait. Certains actes doivent être accomplis, et il ne faut pas les juger d’après les conséquences que le hasard leur inflige, mais d’après celles qu’on leur attribuait, en toute logique humaine et en toute loyauté.

— Des phrases ! dit-elle, obstinée, tu n’aurais pas dû… C’est là de l’héroïsme bien inutile.

— Ne crois pas cela, mère. Il n’était pas besoin d’être un héros pour agir ainsi. Il suffisait d’être un honnête homme. Le premier venu qui aurait eu comme moi la vision claire de ce qui pouvait arriver n’aurait pas hésité davantage.

— De sorte que tu ne regrettes rien ?

Il lui saisit la main, et, douloureusement :

— Oh ! mère, peux-tu parler ainsi, toi qui me connais ? Comment serais-je indifférent à tant de ruines autour de moi ?

Il dit ces mots avec un tel accablement qu’elle eut l’intuition de sa détresse. Mais elle lui en voulait trop profondément, et surtout ils étaient de nature trop différente pour qu’elle pût s’émouvoir. Elle conclut :

— N’importe, mon garçon, tout cela est de ta faute. Si tu n’avais pas écouté Suzanne…

Il ne répondit point. L’accusation portait au plus vif d’une plaie que rien ne pouvait