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me serait-il possible de partir avant d’être sûr ?…

Elle insinua, avec une certaine appréhension :

— Tu veux donc habiter ici ?

— Oui… du moment qu’il ne le saura pas.

— C’est que… voilà… Suzanne est là, dans la chambre de ton père… Il a exigé…

— Ah ! fit-il, Suzanne est là ?

— Où voulais-tu qu’elle aille ? Elle n’a plus personne. Sait-on quand Jorancé sortira de prison ? Et puis lui pardonnera-t-il jamais ?

Il demeura pensif et reprit :

— Marthe l’a rencontrée ?

— Il y a eu une scène terrible entre elles deux. J’ai retrouvé Suzanne la figure en sang, toute balafrée.

— Oh ! les malheureuses… murmura-t-il… les malheureuses…

Il baissa la tête, et, au bout d’un instant, elle vit qu’il pleurait.

Comme elle n’avait aucun mot de consolation à lui dire, elle se retourna et marcha vers le salon, dont elle dérangea les meubles pour avoir la satisfaction de les remettre à leur place. Sa rancune cherchait un prétexte. Philippe s’étant assis devant la table, elle lui montra les journaux.

— Tu les as lus ?

— Oui, les nouvelles sont mauvaises.

— Il ne s’agit pas de cela. Il s’agit du cabinet qui a été renversé sur le rapport même du sous-secrétaire d’État. La Chambre entière a protesté.

— Eh bien ?

— Eh bien, ce rapport, c’est celui-là même qui a suivi la dernière enquête… avant-hier… à la Butte-aux-Loups… Par conséquent, tu vois…

Philippe éprouva le besoin de se justifier.

— Tu oublies, mère, qu’il s’est produit un fait imprévu. Avant la séance de la Chambre, on connaissait, par un télégramme, les paroles que l’empereur avait