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puis le soir de Saint-Élophe. Il tourna la tête. Elle s’assit en tremblant.

Alors Le Corbier, qui avait hâte d’en finir, s’approcha vivement de Philippe et lui dit :

— C’est la dernière fois, monsieur, que je m’adresse à vous. Dans quelques minutes, tout sera terminé, irrévocablement. Il dépend de votre bonne volonté…

Mais il n’alla pas plus loin. Jamais il n’avait vu une face aussi ravagée que celle de Philippe, et jamais non plus, parmi le chaos des traits convulsés, une telle expression de force et d’énergie. Il comprit que Philippe avait résolu de franchir l’étape dernière. Sans un mot, il attendit.

Et, de fait, comme si, lui également, il eût été avide de toucher à l’effroyable but, Philippe prononça :

— Monsieur le ministre, si je vous donne l’emploi certain de ma nuit, mes paroles auront-elles pour vous une valeur indiscutable ?

Sa voix était presque calme. Ses yeux avaient choisi un point de la tente d’où il n’osait plus les détacher, car il craignait de rencontrer ceux de Marthe ou de Jorancé ou de Suzanne.

Le Corbier répondit :

— Une valeur indiscutable.

— Les déclarations de mon père s’en trouveront-elles affaiblies ?

— Oui, puisqu’il me faudra les balancer avec celles d’un homme dont je ne pourrai plus mettre en doute la sincérité parfaite.

Philippe se tut. Son front dégouttait de sueur, et il chancelait comme un homme ivre qui va tomber.

Le Corbier insista :

— Parlez sans scrupule, monsieur. Il y a des circonstances où il faut regarder droit devant soi et où le but à atteindre doit, en quelque sorte, vous aveugler.

Philippe continua :

— Et vous croyez, monsieur le ministre, que votre rapport, ainsi modifié, peut avoir à Paris une influence décisive ?

— Je l’affirme. Le président du Conseil m’a fait entrevoir sa pensée secrète. En