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regarda aussi le visage méconnaissable de Marthe. Et il était surpris, car il ne pensait point avoir prononcé des mots qui pussent éveiller leurs soupçons.

— Mais vous êtes fous dit-il. Voyons, monsieur Jorancé… voyons, Marthe… qu’est-ce qu’il y a ? Je ne sais pas ce que vous avez pu comprendre… C’est peut-être de ma faute… Je suis si las !

— De qui s’agit-il ? répéta Jorancé frémissant de colère.

— Mais avoue donc ! exigea Marthe, qui le traquait de toute sa haine jalouse.

Et, derrière elle, Philippe apercevait le vieux Morestal, écrasé sur sa chaise, comme s’il ne pouvait se remettre des coups qui l’avaient frappé. C’était sa première victime, celui-là. Allait-il immoler les deux autres ? Il sursauta.

— Assez ! assez ! Tout cela est odieux… Il y a entre nous un malentendu terrible… Et tout ce que je dis ne fait que l’aggraver… Plus tard, nous nous expliquerons, je vous le promets, monsieur Jorancé… Toi aussi, Marthe, je te le jure… Et tu comprendras ton erreur. Mais taisons-nous, je vous en prie… C’est assez nous torturer les uns les autres.

Il semblait si résolu que Jorancé demeura indécis et que Marthe elle-même fut ébranlée. Disait-il vrai ? Était-ce simplement un malentendu qui les divisait ?

Le Corbier devina le drame, et, attaquant Philippe à son tour, il lui dit :

— Ainsi, monsieur, je dois renoncer à tout éclaircissement sur le point que vous me signaliez ? Et c’est vous-même, n’est-ce pas, par votre attitude définitive, qui clôturez le débat ?

— Oui, répondit-il fermement.

— Non, protesta Marthe, revenant à la charge avec une vigueur inlassable ; non, ce n’est pas fini, monsieur le ministre, cela ne peut pas finir ainsi. Qu’il le veuille ou non, mon mari a prononcé des mots que nous avons tous interprétés dans le même sens. S’il y a un malentendu, qu’il soit dissipé dès maintenant. Et une seule per-