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— Mon père se trompe… Mon père est victime d’illusions…

— Jusqu’à preuve du contraire, monsieur, vos accusations n’ont aucune valeur. Elles n’en auraient que si vous me donniez une marque irrécusable de votre sincérité. Or, il n’en est qu’une qui porterait ce caractère irrécusable, et vous refusez de me le fournir…

— Cependant…

— Je vous dis, monsieur, interrompit Le Corbier avec impatience, qu’il n’y a pas d’autre problème à résoudre. Ou bien vous vous trouviez sur la frontière au moment de l’agression et vous avez entendu les protestations de M. Jorancé, et, en ce cas, vos dépositions antérieures et celles de M. Morestal gardent toute leur importance. Ou bien vous n’étiez pas là, et, en ce cas, vous avez le devoir impérieux de me prouver que vous n’étiez pas là. C’est facile : où étiez-vous à ce même moment ?

Philippe eut un accès de révolte, et, répondant tout haut aux pensées qui le torturaient :

— Ah ! non… non… Voyons, ce n’est pas possible que l’on m’oblige… Voyons, quoi ! c’est monstrueux…

Il lui semblait qu’un génie malfaisant s’efforçait, depuis quatre jours, à conduire les événements de telle façon que lui, Philippe, fût dans l’obligation épouvantable d’accuser Suzanne.

— Non, mille fois non, reprit-il exaspéré, il n’y a pas de puissance qui puisse me contraindre… Admettons que j’aie passé la nuit à me promener ou à dormir sur un talus. Admettons ce que vous voulez… Mais laissez-moi libre de mes actes et de mes paroles.

— Alors, dit le sous-secrétaire d’État en prenant ses dossiers, l’enquête est finie, et le témoignage de M. Morestal sert de base à ma conviction.

— Soit ! riposta Philippe, hors de lui.