Page:Leblanc - La frontière, paru dans l'Excelsior, 1910-1911.djvu/140

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

réduite au silence par une sorte d’aveu sur lequel il saurait revenir, sa femme se faisait complice et le secourait en ne l’attaquant plus.

— Tu dois te taire, ordonna-t-il, ton chagrin personnel doit s’effacer…

— Que dis-tu ?

— Tais-toi, Marthe, l’explication que tu réclames, nous l’aurons, mais tais-toi.

C’était une maladresse inutile. Comme toutes les femmes qui aiment, Marthe ne pouvait que souffrir davantage de ce demi-aveu. Elle se cabra sous la douleur.

— Non, Philippe, je ne me tairai pas… Je veux savoir ce que tes paroles signifient… Tu n’as pas le droit de t’échapper par un faux-fuyant… C’est une explication immédiate que je réclame.

Elle s’était levée et, face à son mari, elle scandait chacune de ses phrases d’un coup de main sec. Comme il ne répondait pas, ce fut Le Corbier qui continua :

— Madame Philippe Morestal a raison, monsieur, vous devez vous expliquer, et non point pour elle — c’est affaire entre vous — mais pour moi, pour la clarté même de mon enquête. Depuis le début, vous vous conformez à une espèce de programme établi d’avance et qu’il est facile de discerner. Après avoir renié vos dispositions antérieures, c’est le témoignage même de votre père que vous essayez de démolir. Ce doute, que je cherchais derrière vos réponses, vous tâchez de l’éveiller dans mon esprit en rendant suspectes les affirmations de votre père, et cela par tous les moyens. J’ai le droit de me demander si l’un de ces moyens n’est pas le mensonge — le mot n’est pas de moi, monsieur, il est de votre femme — et si l’amour de vos idées ne passe pas avant l’amour de la vérité.

— Je dis la vérité, monsieur le ministre.

— Alors prouvez-le. Est-ce actuellement que vous faites un faux témoignage ? Ou bien était-ce les autres fois ? Comment puis-je le savoir ? Il me faut une certitude. Sans quoi, je passe outre, et m’en tiens aux paroles d’un témoin qui, lui, n’a jamais varié.