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vérité, contre une vérité qu’il connaît… oui, qu’il connaît, je l’affirme. Par tout ce qu’il m’a dit, par tout ce que je sais, je jure qu’il n’a jamais mis en doute la parole de son père. Et je jure qu’il assistait à l’agression.

— Alors, dit Le Corbier, pourquoi monsieur Philippe Morestal agit-il ainsi maintenant ?

— Monsieur le ministre, déclara la jeune femme, mon mari est l’auteur de la brochure intitulée la Paix quand même.

La révélation produisit comme un coup de théâtre. Le Corbier sursauta. Le commissaire eut un air indigné. Quant au vieux Morestal, il voulut se dresser, chancela aussitôt, et retomba sur sa chaise. Il n’avait plus de force. Sa colère faisait place à un désespoir immense. Il n’eût pas souffert davantage en apprenant la mort de Philippe.

Et Marthe répéta :

— Mon mari est l’auteur de la brochure intitulée la Paix quand même. Pour l’amour de ses idées, pour être d’accord avec la foi profonde, avec la foi exaltée que ses opinions soulèvent en lui, mon mari est capable…

Le Corbier insinua :

— D’aller jusqu’au mensonge ?

— Oui, dit-elle. Une fausse déposition ne peut que lui paraître insignifiante auprès de la grande catastrophe qu’il veut conjurer, et sa conscience, seule, lui dicte son devoir. Est-ce vrai, Philippe ?

Il répondit gravement :

— Certes. Dans les circonstances où nous sommes, lorsque deux grands peuples se butent l’un contre l’autre pour une misérable question d’amour-propre, je ne reculerais pas devant un mensonge qui me paraît un devoir. Mais je n’ai pas besoin de recourir à ce moyen. J’ai pour moi la vérité même. Je n’étais pas là.

— Alors, où étais-tu ? redit Marthe.

De nouveau la petite phrase résonna, impitoyable. Mais cette fois, Marthe la prononça d’un ton plus hostile et avec un geste qui en soulignait toute l’importance.