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aussi, mon père, pardonnez-moi… Je vous en supplie, pardonnez-moi… Il y a des situations où l’on doit se pardonner tout le mal qu’on peut se faire.

On eût dit, à voir la contraction de son visage, qu’il était sur le point de pleurer, comme un enfant qui retient ses larmes et qui est à bout de forces.

Morestal le considéra d’un œil stupéfait. Sa femme l’épiait à la dérobée, et elle sentait la peur monter en elle, ainsi qu’à l’approche d’un grand malheur.

Mais la tente s’ouvrit de nouveau. M. Le Corbier entra. Le commissaire spécial Jorancé, que des gendarmes allemands avaient conduit, l’accompagnait.

Jorancé fit simplement un signe de tête aux Morestal et prononça :

— Suzanne ?

— Elle va bien, dit Marthe.

Pendant ce temps, Le Corbier s’était assis et feuilletait les dossiers.

La figure taillée en triangle et que terminait une barbiche, la lèvre rasée, le teint bilieux, il avait, avec ses vêtements noirs, l’apparence austère d’un clergyman. On disait de lui que, au temps de la Révolution, il eût été Robespierre ou Saint-Just. Son regard, très sympathique, presque affectueux, démentait l’hypothèse. En réalité, c’était un homme de conscience, à qui un sentiment excessif du devoir donnait de la gravité.

Il ferma les dossiers et réfléchit assez longtemps. Sa bouche articulait des syllabes muettes. Visiblement, il composait son discours. Et il s’exprima ainsi, avec un ton de confidence et d’amitié qui était infiniment troublant :

— Je pars dans une heure. En chemin de fer, j’établirai mon rapport sur les notes que voici, et sur les dépositions individuelles que vous m’avez faites ou que vous me ferez. À neuf heures du soir, je serai chez le président du Conseil. À neuf heures et demie, le président du Conseil parlera devant la Chambre, et il parlera d’après les termes mêmes de mon rapport. Voilà ce que