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certain que l’Allemagne mobilisait trois corps d’armée.

Au Vieux-Moulin, la soirée fut tragique. Suzanne, qui arrivait de Bœrsweilen sans avoir pu voir son père, Suzanne ajoutait à la détresse par ses sanglots et ses lamentations. Morestal et Philippe, taciturnes, le regard fiévreux, semblaient se fuir. Marthe, qui devinait les angoisses de son mari, ne le quittait pas des yeux, comme si elle craignait de sa part un coup de tête. Et la même appréhension devait tourmenter Mme Morestal, car elle recommanda plusieurs fois à Philippe :

— Surtout pas de discussions avec ton père. Il est malade. Toutes ces histoires le remuent bien assez. Un choc entre vous serait terrible.

Et cela aussi, l’idée de ce mal qu’il ignorait, mais auquel son imagination exaspérée donnait une importance croissante, cela aussi torturait Philippe.

Ils se levèrent tous, le dimanche matin, avec la certitude que la nouvelle de la guerre leur parviendrait au cours de cette journée, et le vieux Morestal partait pour Saint-Élophe afin d’y prendre les dispositions nécessaires en cas d’alerte, quand une sonnerie de téléphone le rappela.

C’était le sous-préfet de Noirmont qui lui transmettait une nouvelle communication de la préfecture. Les deux Morestal devaient se trouver à midi à la Butte-aux-Loups.

Un instant plus tard, l’Éclaireur des Vosges, par une dépêche publiée en tête de ses colonnes, les renseignait sur la portée de cette troisième convocation.

« Hier, samedi, à dix heures du soir, l’ambassadeur d’Allemagne a rendu visite au président du Conseil. Après une longue conversation, et au moment de rompre un entretien qui semblait ne pouvoir aboutir, l’ambassadeur a reçu par exprès et remis au président du Conseil une note personnelle de l’empereur. L’empereur proposait un examen nouveau de l’affaire, pour lequel il déléguerait le gouverneur d’Alsace-