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— Bon ! prononça-t-il, s’empressant de saisir le prétexte, une lettre de Pierre Belun. Pourvu qu’il ne me rappelle pas !…

Il décacheta et dit, après avoir lu :

— Justement ce que je craignais ! Je vais être obligé de partir.

— Pas avant ce soir, mon garçon.

C’était le vieux Morestal qui survenait avec un pli décacheté.

— Qu’y a-t-il, père ?

— Nous sommes convoqués d’urgence par le préfet des Vosges à la mairie de Saint-Élophe.

— Moi aussi ?

— Toi aussi. On veut vérifier certains points de ta déposition.

— Alors, on recommence ?

— Oui. C’est une nouvelle enquête. Il paraît que les choses se compliquent.

— Que dis-tu ?

— Je dis ce que disent les journaux de ce matin. D’après les dernières dépêches, l’Allemagne n’a pas l’intention de relâcher Jorancé. En outre, il y a eu des manifestations à Paris. Berlin se remue également. La presse chauvine parle avec arrogance. Bref…

— Bref ?

— Eh bien, cela prend très mauvaise tournure.

Philippe sursauta. Il s’approcha de son père, et soudain furieux :

— Hein ! Qui donc avait raison ? Tu vois… tu vois tout ce qui arrive ! Si tu m’avais écouté…

— Si je t’avais écouté ?… scanda Morestal, aussitôt prêt à la querelle.

Mais Philippe se contint. Marthe dit des mots au hasard. Et tous trois se turent.

Et puis, à quoi servaient les paroles ? L’orage avait passé au-dessus de leurs têtes et grondait sur la France. Désormais impuissants, ils en devaient subir les contre-coups et entendre les échos lointains sans pouvoir influer sur les éléments formidables déchaînés en cette nuit du lundi au mardi.