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ton convaincu. Le mariage accorde aux époux des vertus particulières, une grâce spéciale…

Cette insistance finit par frapper Balthazar. Il hocha de nouveau la tête.

— Est-ce bien la peine que l’on s’épouse ? Coloquinte et moi, nous sommes deux enfants trouvés. À cause de cela, nous vivons un peu en dehors de la société. À quoi bon lui demander un appui qu’elle ne nous a pas accordé jusqu’ici ?

— Ce n’est pas tant un devoir social que j’invoque, dit le prêtre.

— Alors, quel devoir ?

— Votre devoir envers Dieu, mon enfant.

Balthazar hésita avant de répondre doucement :

— Monsieur l’abbé, je ne voudrais pas vous blesser dans vos convictions, mais je vous avoue…

— Que vous êtes loin de Dieu ?

— Très loin.

— C’est-à-dire que vous ne croyez pas en lui ?

— Si… Si… par exemple, quand on m’a fusillé, j’ai prié Dieu.

— Mais les autres jours de la vie ?…

Il ne répondit pas. Le prêtre sourit.

— Bien des gens se figurent qu’ils ne croient pas en Dieu, et ils y croient plus que d’autres qui sont des fidèles. Vous êtes de ceux qui ont la foi, mon enfant.

— Vous en êtes sûr, monsieur l’abbé ?

— J’en suis sûr, puisque vous croyez aux bienfaits de l’ordre, à la nécessité de la règle, de la discipline, de la méthode, de la logique, de la ligne droite, n’est-ce pas ?

— Oui, monsieur l’abbé, j’y crois de tout mon cœur.

— Dieu, c’est cela, mon enfant. Tous ceux qui s’inclinent devant de telles lois, s’inclinent en réalité devant lui. Je n’ai jamais lu là-dedans (il frappait son bréviaire) autre chose qu’un appel fervent à cette doctrine. C’est toute la religion divine, et c’est sur quoi la société est bâtie. Épousez Mlle  Coloquinte, mon cher enfant, et vous serez d’accord avec la loi de Dieu, qui est celle des hommes également.

L’ecclésiastique se leva. Il avait terminé son petit sermon et dit les choses qu’il avait l’habitude de dire, et auxquelles, sans doute, il ne songeait pas beaucoup. Il salua poliment Balthazar et s’en alla, d’un pas mesuré. Ses talons soulevaient le bas de sa soutane, qui était poussiéreuse et luisante.

Balthazar l’oublia aussitôt et ne prolongea pas un seul instant en lui-même, l’entretien où il s’était confessé si ardemment. Il demeura quelques minutes dans une sorte d’engourdissement où passaient et repassaient diverses images de Coloquinte, toutes gracieuses et séduisantes.

Puis il se leva et s’éloigna dans une autre direction. La rue des Batignolles le conduisit sur les boulevards extérieurs, qu’il délaissa, pour aller vers le centre de Paris.

Il acheta un petit pain et s’installa à la terrasse d’un café où il attendit la fin du jour, en tournant un chalumeau dans son verre de grenadine. Pas une seule de ses pensées les plus inconsistantes qui ne fût une pensée d’amour. Son bonheur était si grand qu’il retardait le moment de voir Coloquinte et qu’il lui suffisait d’adresser à la jeune fille de petits discours inachevés où s’épanchait son âme heureuse.

— C’est étrange comme tu te mêles peu à peu à mes souvenirs et comme tu envahis mon existence ! Je sais maintenant que si j’ai préféré mourir plutôt que d’épouser la charmante Hadidgé, c’est à