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Une gorgée de rhum qu’il réussit à capter redoubla cette bonne humeur passagère, et, dans un rire affreux, M. Vaillant du Four bégaya :

— L’empreinte ?… l’empreinte y est bien ? qu’on me demandait… et les trois lettres ? Ah ! les trois lettres que ce bon type de poivrot t’avait marquées, pour la rigolade… Tu te rappelles ce que je t’ai dit ? le matelot basque ?… un farceur de la belle espèce… une vraie fripouille, lui aussi… Comme je me fâchais au retour, en te voyant dans les convulsions, il se tordait de rire :

« Voyons, mon vieux, il s’appelle Balthazar, ton gosse, comme le type qui donnait des festins ? Alors quoi ? je pouvais pourtant pas lui mettre Mane, Thecel, Pharès, tout au long, au pauvre môme ? Alors j’ai mis que les trois premières lettres… M. T. P. Comme ça, il a sa marque de fabrique. Ai-je pas eu raison ? »

Dame, oui, il avait eu raison, le poivrot M. T. P., c’était la marque de fabrique de Balthazar. Gourneuve en a fait le nom de ses MasTroPieds, et le pacha a pris, pour ralliement, le signe de MusTaPha… M. T. P… Toujours M. T. P…

Il bredouillait d’une façon à peine intelligible. Rien de plus hideux que l’alliance du rire et de la mort. Le rire du vieil ivrogne s’accompagnait d’un claquement de dents abominable. Balthazar et Coloquinte écoutaient avec épouvante.


Vers minuit, M. Vaillant du Four se tut. L’agonie commençait, silencieuse.

Balthazar s’endormit, secoué de rêves horribles.

Réveillé par Coloquinte, au petit jour, il vit le moribond à moitié dressé sur son lit, et qui le regardait d’un air effrayant. Il s’approcha. M. Vaillant du Four, dans un dernier effort où il semblait parler comme s’il n’était plus vivant, chuchota :

— Adieu… adieu… c’est fini… Pourtant, il faut encore que tu saches. Il y a des fois où je ne suis pas certain… non, pas tout à fait certain que tu sois vraiment Balthazar… Je buvais déjà à l’époque… Les autres gosses et toi, je ne vous reconnaissais pas… Alors tu es peut-être Balthazar, mais peut-être aussi Rudolf… ou bien Godefroi… ou bien… je ne sais pas…

Une demi-heure après, M. Vaillant du Four dit encore :

— Sous mon oreiller… il y a quatre paquets de lettres… la correspondance avec les quatre personnes… Et il y a des billets de banque… pour toi… pour toi… ça t’appartient.

Ce fut tout.


À neuf heures, la voisine vint prendre la garde. Balthazar rentra aux Danaïdes ; Coloquinte lui apporta son déjeuner, et de l’eau chaude pour qu’il se lavât.

Restauré et reposé, il s’exprima en ces termes :

— Que t’avais-je dit, Coloquinte ? Tout s’expliquerait de la façon la plus naturelle. Un petit tourbillon de péripéties incohérentes, pas davantage… On se croit élu par le destin pour être le héros d’aventures extraordinaires, et l’on est quoi ? le lamentable fantoche d’un roman policier, confectionné avec les trucs les plus usés, par un bâcleur de feuilletons.