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Un silence et il ajouta :

— Et puis, d’ailleurs, est-ce que la place est vide ? Je n’en suis pas sûr.

— Qui donc l’occuperait, monsieur Balthazar ! Mademoiselle Yolande ?

— Non. C’est comme si j’avais trouvé, je ne sais comment, l’équilibre que je cherchais, depuis mon enfance, auprès de tant de personnes inconnues. J’ai l’impression d’un bonheur que j’ignorais et d’une paix qui n’était pas faite pour moi.

— Depuis quand cette impression, monsieur Balthazar ?

— Depuis ma dernière nuit là-bas, quand tu as défait ma main, Coloquinte, de la main glacée du pacha.

— Mais, alors, qu’est ce qui vous intéresse, monsieur Balthazar ?

— Ceci, dit-il, en montrant le ciel palpitant d’étoiles, ceci, et le soleil, et les arbres, et des tas de choses dont je ne me souciais pas.

— Des choses, observa-t-elle, que la philosophie quotidienne condamne.

— Coloquinte, je ne pense plus à la philosophie quotidienne.

La jeune fille n’insista pas. Qu’était-il arrivé à monsieur Balthazar pour qu’il prononçât un tel blasphème ?

Ils s’en revinrent. Les deux derniers après-midi, Balthazar les passa sur le pont, en face de Coloquinte. Il la regardait complaisamment. Chaque jour, les tresses de cheveux s’étaient défaites un peu plus pour former, autour de la tête, des boucles fines dont l’or s’allumait aux feux du soleil. Parée d’étoffes de soie et d’écharpes multicolores que Beaumesnil lui avait achetées, elle s’en enveloppait avec des gestes qu’il trouvait harmonieux.

Elle lui dit :

— C’est la fin d’un voyage que je n’oublierai jamais, monsieur Balthazar.

— Moi non plus, Coloquinte. Mais il semble que tu dis cela avec tristesse.

— Non, mais avec une certaine peur. À mesure qu’on approche, j’éprouve un malaise comme si un danger nous menaçait.


À Paris, ils décidèrent de prélever sur le trésor un autre billet de cinq cents francs. Coloquinte se mit à l’ouvrage. Balthazar flânait auprès d’elle, sans entrain pour le travail.

Ayant reçu une lettre de Yolande où l’orgueilleuse fiancée se plaignait d’un silence trop long, il mit trois jours avant de répondre, et finit par envoyer un message téléphonique, ce qui était plus commode : « Bataille gagnée. Fortune. Nom historique. »

Deux fois Coloquinte alla voir en banlieue, où les lions de l’Atlas rugissaient, les Fridolin et Mlle Ernestine, laquelle n’avait encore pu se résoudre à quitter la ménagerie et les enfants de la dompteuse Angélique. Balthazar ne l’accompagna point.

— Je les aime beaucoup, et je ne les abandonnerai jamais, dit-il, mais, pour le moment, je n’ai besoin de personne. Tout le monde m’ennuie.

Cependant, sur les instances de Beaumesnil, qui vint, dans son auto, le relancer aux Danaïdes, il dut promettre d’assister à une soirée travestie que le poète donnait en son hôtel.

Le matin de cette soirée, on apporta deux magnifiques costumes. Pour vaincre les dernières hésitations de son maître, Coloquinte lui dit :