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vous empêche d’aller à la conquête d’un nom, d’une fortune, et de « votre orgueilleuse fiancée ».

Coloquinte attendit l’effet de cette lettre d’amour. Balthazar se lavait la tête. Il ordonna :

— Frictionne-moi vigoureusement.

Elle le frictionna vigoureusement, puis ouvrit le télégramme. Il venait de Norvège et disait :

« Prière de me recevoir chez vous le dimanche vingt-cinq courant. Ai à vous faire des révélations d’une importance capitale.

 » Signé : Beaumesnil poète. »


La voix de Coloquinte s’était assombrie. Encore des complications et des ennuis pour son maître ! Que voulaient donc tous ces gens, cette orgueilleuse fiancée, ce poète inconnu ?

— Passez-moi mes bretelles, enjoignit Balthazar, avec autant d’indifférence que si rien de tout cela ne l’eût concerné.

À ce moment, Mlle  Ernestine sortait des Danaïdes. Il lui prit le bras et l’emmena, en disant à Coloquinte :

— Rejoins-nous aux Lions de l’Atlas.

Balthazar était un garçon loyal qui ne voulait pas capter l’affection de Mlle  Ernestine ou de la dompteuse Angélique sans leur avoir donné d’autres explications. Il n’hésitait pas, pour sa part, à les chérir toutes deux aussi profondément que si chacune d’elles eût été sa mère, mais elles devaient savoir l’une et l’autre qu’il y avait tout au moins doute sur la maternité de l’une des deux. C’est pourquoi il désirait une entrevue immédiate.

Elle fut cordiale. Les natures, que certaines affinités secrètes prédisposent à la sympathie, s’entendent du premier coup. Tandis que les lions de l’Atlas rugissaient furieux, Balthazar hurla son histoire, et, après qu’elles eurent écouté, les deux femmes avouèrent, à plein gosier, que nulle preuve ne les favorisait l’une plus que l’autre, ce dont elles ne tiraient d’ailleurs pas motif pour s’attacher moins à lui.

— Sois sûr, lui dit Angélique, que je t’aime comme un fils. Quoi qu’il arrive, je ne changerai point.

Mlle  Ernestine, qui ne le tutoyait pas, fut aussi catégorique :

— Rien ne modifiera mes sentiments de mère.

Il réunit leurs mains dans les siennes. Fridolin pleura.

Ils goûtèrent durant quinze jours une félicité sans mélange. Les gens simples ne voient pas ce qu’il peut y avoir d’anormal ou de compliqué dans une situation à laquelle leur sens naturel du bonheur les a du premier coup adaptés. Aux Lions de l’Atlas, on causait de tout cela sans gêne, sans étonnement, et sans éprouver non plus l’âpre désir de connaître la vérité. Mlle  Ernestine, qui avait perdu son air maussade, s’intéressait à la ménagerie, soignait et instruisait les neuf enfants d’Angélique, et n’était point pressée de regagner son petit magasin de Gournay.

Quant à Balthazar, il exultait. Chaque soir, il s’abandonnait aux fortes émotions du spectacle. La dompteuse Angélique, en maillot gris perle et en casaquin de velours noir, le trident ou le revolver à la main, lui arrachait des cris d’admiration ou de frayeur. Quel audace ! Mais aussi quel imprudence !