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chant pied, Fridolin le jeta sur son épaule gauche, comme un manteau plié.

Suspendu au bras droit de l’homme-canon, Balthazar lui exposa les principes de la philosophie quotidienne.

— Comprends-moi, Fridolin. La plupart des gens voient la vie avec des lunettes. Ce sont des fous. Il faut regarder les choses telles qu’elles sont, et les remettre au point, si elles sont déformées. Or, les choses sont toujours simples, naturelles…

M. Vaillant du Four, la tête en bas, gémissait :

— Une vieille fripouille… On devrait me ficher en prison… Une fripouille, que je vous dis…

Balthazar continua de développer sa doctrine, jusqu’à l’octroi des Ternes. Là, son beau-père, enthousiasmé, lui fit craquer de nouveau la main en sanglotant :

— À la vie, à la mort.

Et Fridolin redescendit vers Paris, oubliant qu’il emportait sur son dos M. Vaillant du Four.

Balthazar rentra seul. Les becs de gaz et les étoiles dansaient bien un peu devant ses yeux. Cependant il gagna la villa des Danaïdes et, comme il approchait, sa surprise fut grande de voir que la fenêtre de son logis était éclairée et qu’une silhouette féminine se tenait devant la porte ouverte. Était-ce Coloquinte qui l’attendait ?

Il monta les marches. Des bras se tendirent, et une voix gémissante l’accueillit :

— Godefroi… mon petit Godefroi, c’est moi, Ernestine Henrioux… Je n’ai pas pu résister… J’ai tout abandonné pour venir auprès de vous, le Dé d’argent, mes clientes, M. le curé, la tombola… Ah ! mon petit Godefroi !…

La vieille dame de Gournay le serrait contre elle avec véhémence, comme si elle voulait rattraper en démonstrations maternelles plus d’un quart de siècle perdu dans la solitude et la sécheresse. Comment Balthazar n’eût-il pas accepté cette bonne aubaine de tendresse ? Le cerveau troublé par le vin de Suresnes, il répondit par des manifestations filiales qui ne le cédaient pas en sincérité. La mère et le fils ne s’endormirent qu’à l’aurore et Coloquinte les retrouva, mains unies, têtes jointes, et balançant leurs bustes sur deux chaises jumelles.



VI

Fridolin vaut un régiment


Avec le café du professeur, Coloquinte apportait deux lettres et un télégramme. Balthazar offrit le café à Mlle Ernestine, présenta la dactylographe et, emmenant Coloquinte dans la cour, commença ses ablutions.

— Lis, dit-il.

Par la première missive, Me La Bordette, le notaire, convoquait son client, et lui demandait quelques signatures, le dossier Coucy-Vendôme étant prêt.

— Continue.

Coloquinte décacheta la seconde enveloppe et devint blême :

— C’est de Mlle Yolande.

— J’écoute, dit-il.

Elle lut :

« Mon Balthazar,

» Je suis attentivement dans les journaux la rubrique des crimes, vols, escroqueries, arrestations. Rien jusqu’ici ne vous concerne, et rien, par conséquent, ne