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vous retenir. Mais, tout de même, accordez-moi un moment… Quel dommage que je n’ai pas fait préparer le thé !…

— Non… non… dit-elle, je n’aurais pas eu le temps…

— Même pas le temps d’ôter, votre chapeau ?… vos gants ?…

Il s’exprimait avec un accent d’indifférence qui la tranquillisait, et il avait soin de laisser la table entre elle et lui. On eût dit qu’il pensait à toute autre chose, et que sa proposition était celle d’un monsieur simplement poli. Elle s’assit sur le bord d’une chaise. Puis elle enleva sa cravate de fourrure, ce qui découvrit son cou et le haut de son corsage.

Vérange l’observait furtivement, de manière qu’elle ne pût s’en apercevoir. Cette femme, un peu rude d’aspect et de physionomie sévère, avait parfois une grâce infinie dans ses attitudes, cette grâce même dont Vérange avait subi l’attrait jadis, quand il disait « Marceline pleine-de-grâce ». Un sourire ingénu détendait l’arc de sa bouche et creusait la courbe de son menton. Depuis quelques mois, elle s’était imprégnée d’un charme particulier. Les mêmes robes d’étoffe sombre et de coupe provinciale acquéraient sur elle de l’agrément et de l’élégance. Mais ces détails qui, la veille encore, enchantaient Vérange, aujourd’hui exaspéraient sa passion. Tout en rassemblant au petit bonheur des phrases qui n’avaient pas beaucoup de sens, mais qu’il prononçait d’un ton léger qui rassurait Marceline, il en entendait d’autres au fond de lui. « Elle ne m’échappera pas… Je n’ai qu’à vouloir… » Il ressentait plus de haine que d’amour. Marceline devenait en vérité la proie qu’il faut saisir.

Peu à peu, il regagnait du terrain. Des cigarettes qu’il devait atteindre, un livre, une reliure qu’il voulait montrer, autant de prétextes pour avancer d’un pas ou deux. Il eut même l’audace de faire admirer une nouvelle édition de ses premières poésies et de dire négligemment quelques uns des vers qui s’y trouvaient et qui