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Vérange l’avait reconduit jusqu’à la porte. Sur le seuil Gassereaux lui dit encore, à moitié ironique :

— Notre destin se joue souvent sur des hasards, et nos joies et nos peines sont des faveurs où des méchancetés du sort. Remarque ceci : tu ne t’es jamais trouvé seul avec Marceline. Or, aujourd’hui, elle vient, croyant que son fils est là, et il n’y est pas. Et d’autre part, tu as donné congé à ton domestique…

Vérange eut un geste d’irritation.

— Tais-toi, je t’en prie. Marceline n’est pas de ces femmes…

— Toutes les femmes sont semblables, ricana Gassereaux en refermant la porte.

Vérange écouta le pas de son ami dans l’escalier, et il demeura sans bouger durant quelques minutes. À haute voix il compta les cinq coups de la pendule qui sonnait. Marceline ne pouvait tarder…

— À moins, pensa-t-il, qu’elle ne demande au concierge si son fils est arrivé. Auquel cas, elle attendrait, et comme Stéphane ne vient pas…

Il fut près de descendre et d’aller au devant d’elle. Mais il ne le fit point. Les paroles de Gassereaux l’obsédaient, et il se disait que, si notre bonheur dépend, en effet, de l’avidité avec laquelle nous nous emparons de ce que nous offre le hasard, il se trouvait par la complicité des événements le maître absolu de son destin.

Il aperçut, dans une glace, son visage qui était pâle et contracté, et il fut frappé de voir à quel point ces dix-huit mois de souffrance et d’angoisse l’avaient meurtri. Il aimait Marceline bien plus qu’il ne l’avait dit à Gassereaux. L’envie de mourir parfois le prenait. C’était un de ces amours sombres et pénibles contre quoi on ne peut pas réagir, passé un certain âge.

Soudain, il prêta l’oreille. La porte de la cour, sur la rue, avait claqué. À cette heure là, ce ne pouvait être que Marceline. Trois étages à monter… L’idée qu’il serait