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lu des contes de fées, et j’ai cru sincèrement que vous étiez le Prince Charmant et que vous nous éveilliez tous d’un sommeil qui n’aurait jamais cessé. Vous avez récité de vos vers et il me semblait que vous étiez toute la poésie du monde. Je vous avoue cela d’un coup. Mais vous devinez, n’est-ce pas, ce qui a pu se passer dans le cerveau d’une pauvre provinciale. Les rêves sont indépendants de notre volonté et de notre éducation. J’ai été surprise par celui-ci, et dans le secret de moi-même, je me suis abandonnée à cette joie d’un soir qui me paraissait de la même nature que le plaisir éprouvé par mes parents, et qui ne pouvait pas avoir de lendemain. De fait, à dix heures, vous nous quittiez tous les deux. Vous m’avez dit encore : « Au revoir, Mademoiselle pleine-de-grâce ». Je vous ai dit : « Adieu, monsieur ». C’était fini et j’avais bien envie de pleurer. À cet âge, on a le respect et l’orgueil de ses larmes. Je n’en avais jamais versé de cette sorte-là, et c’était si doux que, pour prolonger mon bonheur, je me glissai dehors, au bout du petit jardin qui va de notre maison jusqu’au pied des remparts. En me retournant, je vous vis à votre fenêtre. Elle se ferma. J’eus l’idée