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pas bien compris le lieu du rendez-vous ou l’avait oublié, et elle se morfondait là-bas.

Il sauta dans un taxi, dont il prit lui-même le volant, selon son habitude en cas d’urgence.

Dans le jardin, il rencontra le domestique, puis, dans l’escalier, Courville.

— Clara ?

— Mais elle n’est pas là.

Ce fut pour lui un accablement. Où aller ? Que faire ? L’inanité de toute action s’ajoutait à son tourment. Et surtout une pensée effroyable grandissait en lui, d’une telle logique que, plus il l’examinait, plus elle lui semblait l’aboutissement certain des transes par où avait passé la pauvre Clara. Meurtrière, persuadée que son acte la rendait pour son amant un objet d’horreur, pouvait-on douter qu’elle échappât à l’obsession du suicide ? N’était-ce pas pour cela qu’elle s’était enfuie ? Toute sa conduite ne prouvait-elle pas qu’elle ne voulait plus, qu’elle n’osait plus le revoir ?

Il l’imaginait errant dans la nuit. Elle marchait le long de la Seine. L’eau noire, luisante de clartés éparses, l’attirait. Elle y entrait peu à peu. Elle s’y jetait.

Toute cette nuit fut affreuse pour Raoul. Quel que fût son habituel contrôle sur lui-même, il ne pouvait se soustraire à certaines suppositions qui, avec la complicité des ténèbres, prenaient figure de certitudes. Il était bourrelé de remords, remords de n’avoir pas flairé le piège de Valthex, remords d’avoir joué la difficulté, remords d’avoir quitté la malheureuse Clara.

Il ne s’endormit qu’au matin. À huit heures, il bondit hors de son lit, comme si quelque chose l’appelait à l’action. Quoi ?

Il sonna.

— Du nouveau ? demanda-t-il… Madame ?

— Pas de nouvelles, répondit le domestique.

— Est-ce possible ?

M. Courville peut renseigner Monsieur.

Courville entra.

— Alors… pas rentrée ?

— Non.

— Aucune nouvelle ?

— Aucune.

— Tu mens !… Tu mens ! s’écria-t-il en empoignant le secrétaire. Tu mens !… Oui, tu as l’air embarrassé. Qu’est-ce qu’il y a ? Mais parle donc, imbécile. Crois-tu que j’aie peur de la vérité ?

Courville tira un journal de sa poche. Raoul le déplia et, tout de suite, lâcha un juron.

On lisait, au haut d’une colonne de première page, en gros caractères :

Assassinat du grand Paul. Son ancienne maîtresse, Clara la Blonde, est arrêtée sur le lieu du forfait par l’inspecteur principal Gorgeret. La police est convaincue qu’elle est l’auteur du crime, avec son nouvel amant, le sieur Raoul, qui déjà l’avait enlevée lors de l’inauguration du Casino Bleu. Son complice a disparu.


XVI

Zozotte

Cette fois, le hasard avait favorisé l’inspecteur principal Gorgeret. Absent de la Préfecture, lorsque le pneumatique écrit par le grand Paul y était arrivé, il avait fait son stage quotidien sur le quai Voltaire à l’heure où il était établi que la fameuse blonde s’y rendait parfois. Et c’est de là qu’il avait répondu aux appels que lui lançait la concierge par la fenêtre de l’entresol.

L’irruption de Gorgeret dans l’entresol de Raoul se produisit avec la violence d’une trombe. Néanmoins, il s’arrêta court. Ce n’est point que le spectacle du grand Paul agonisant le suffoquât. Mais il apercevait ce diable de fauteuil, tourné vers les deux fenêtres, et grâce auquel Raoul lui avait joué un de ses méchants tours.

— Halte ! commanda-t-il aux deux hommes qui l’accompagnaient.

Et lentement, avec précaution, le revolver au poing, il approcha du fauteuil. Au moindre geste de l’ennemi, il tirait.