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manque de s’y jeter la tête la première. Mais maintenant, petite fille, il ne faut plus avoir peur. Vite, sourions. Tu vois bien comme il est inoffensif ! un mouton… un mouton abruti… C’est qu’il se rappelle nos rencontres précédentes, le grand Paul, et qu’il ne va pas se risquer à engager une nouvelle bataille, hein, Valthex ? On est devenu raisonnable, n’est-ce pas ? Raisonnable, mais stupide. Comment, diable ! as-tu laissé ton chauffeur sur le quai ? Surtout qu’il a une gueule spéciale, ton chauffeur !… J’ai tout de suite reconnu le bonhomme qui stationnait ce matin sur l’avenue du Maroc. Une autre fois, demande-moi conseil.

Valthex cherchait à se remettre de son désarroi. Il serrait les poings. Il fronçait les sourcils. Le persiflage de Raoul l’exaspérait, ce qui encourageait Raoul à continuer :

— Non, vrai, rebiffe-toi, mon vieux ! Puisque je te dis que la guillotine, c’est pas encore pour aujourd’hui. Tu as tout le temps de t’y habituer. Aujourd’hui, il s’agit tout simplement d’une petite formalité qui consistera à t’attacher les mains et les pieds avec beaucoup de douceur et de respect. La chose faite, je téléphone à la Préfecture, et Gorgeret vient prendre livraison. Tu vois, le programme est enfantin…

La rage de Valthex croissait à chaque parole. L’accord de Raoul et de Clara, si visible, si profond, le mettait hors de lui. Clara n’avait plus peur, Clara souriait presque, et se moquait de lui avec son amant.

C’est l’idée de cette situation burlesque et de son humiliation devant la jeune femme qui le redressa. À son tour, il prit l’offensive et il attaqua avec précision et la colère contenue d’un homme qui se sait en possession d’armes dangereuses et qui est résolu à s’en servir.

Il s’assit sur le fauteuil, et, martelant ses phrases, frappant du pied :

— Alors, c’est cela, décidément, que tu veux, dit-il… me livrer à la justice ? Tu l’as essayé au bar de Montmartre, puis au Casino Bleu, et maintenant tu voudrais profiter du hasard qui t’a encore mis sur mon chemin ? Soit. Je ne crois pas que tu réussisses. Mais, en tout cas, il faut que tu saches exactement à quoi aboutirait ta réussite. Il faut qu’elle le sache, elle surtout.

Il se tourna vers Clara, qui restait immobile sur le divan, plus calme, mais encore crispée, anxieuse.

— Vas-y, mon vieux, dit Raoul, vas-y de ta petite histoire.

— Une petite histoire pour toi, peut-être, dit Valthex, mais une chose qui aura du poids pour elle, sois-en sûr. Tiens, regarde comme elle m’écoute. Elle n’ignore pas que je ne plaisante jamais, moi, et que je ne perds pas mon temps à discourir. Quelques mots seulement, mais qui comptent.

Il se pencha vers Clara, et, les yeux dans les yeux :

— Tu sais qui est le marquis par rapport à toi ?

— Le marquis ? fit-elle.

— Oui, un jour, tu m’as confié qu’il avait connu ta mère.

— Il l’a connue, oui.

— J’ai bien deviné, à ce moment-là, que tu avais quelques soupçons de la vérité, mais aucune preuve.

— Quelle sorte de preuve ?

— Ne biaise pas. Ce que tu es venue chercher, la nuit, chez d’Erlemont, c’est la preuve dont je te parle. Or, dans le tiroir secret, que j’ai fouillé, pour ma part, un peu avant toi, tu as précisément trouvé la photographie de ta mère avec une dédicace qui ne laisse aucun doute. Ta mère a été la maîtresse, une des mille et une maîtresses du marquis, et tu es la fille de Jean d’Erlemont.

Elle ne protesta point. Elle attendit la suite des paroles. Il continua :

— Je t’avoue que c’est là un point secondaire, et, si j’y fais allusion, c’est simplement pour que cette vérité-là soit bien établie. Jean d’Erlemont est ton père. J’ignore quels sont tes sentiments pour lui, mais c’est un fait qui doit influer sur ta conduite. Jean d’Erlemont est ton père. Or…