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qu’elle allait prononcer. À la fin, elle n’en eut pas le courage, et elle fondit en larmes, son visage entre les mains.

— Pardonne-moi, balbutiait-elle. Et dis-toi bien que ça n’a pas d’importance que je parle ou non… Ça ne peut rien changer à ce qui est ni à ce qui sera… C’est une toute petite chose insignifiante pour toi… mais si grave pour moi !… Les femmes, tu sais, ce sont des enfants… Elles se font des idées !… Peut-être ai-je tort… Mais je ne peux pas… pardonne-moi.

Il eut un geste d’impatience.

— Soit, dit-il. Mais j’insiste de la façon la plus formelle pour que tu ne retournes pas là-bas. Sans quoi, un jour ou l’autre, tu y rencontrerais soit le grand Paul, soit quelqu’un de la police. Est-ce cela que tu veux ?

Elle s’inquiéta aussitôt.

— Mais n’y va pas non plus, toi. Tu cours le même danger que moi.

Il promit. La jeune femme s’engagea à n’y pas aller, et même à ne pas sortir du pavillon avant que quinze jours se fussent écoulés, ce qui les remettait à la date du départ que Raoul avait fixée.


XIII

Le guet-apens

Raoul ne se trompait pas en avançant que la maison du quai Voltaire était surveillée. Mais elle ne le fut pas d’une façon régulière et constante, ce qui aurait entraîné tout de suite les chocs qu’il redoutait. Gorgeret eut le tort, au point de vue policier, de ne faire sur le quai que de courtes apparitions et de s’en remettre à son escouade, tout en laissant d’ailleurs à celle-ci trop de latitude dans l’exécution de ses ordres. C’est ainsi que les visites de la jolie blonde, aussi bien que les rondes souvent imprudentes de Courville, passèrent inaperçues. En outre, Gorgeret fut trahi par la concierge, qui recevait de l’argent de Raoul par l’intermédiaire de Courville, et de Valthex par l’intermédiaire d’un de ses complices, et qui ne lui fournit que des renseignements vagues et contradictoires.

La surveillance de Valthex fut plus serrée. Depuis une demi-semaine, un type de rapin, au feutre à grands bords, aux longs cheveux grisonnants, à la taille courbée en deux, et porteur d’une boîte de peinture, d’un chevalet et d’un pliant, venait s’installer dès dix heures du matin sur le trottoir opposé, à cinquante mètres de l’hôtel Erlemont et écrasait sur sa toile des couches de pâtes coloriées qui prétendaient reproduire les bords de la Seine et la silhouette du Louvre. C’était le grand Paul. C’était Valthex. Les policiers pensèrent d’autant moins à examiner ce rapin que sa tenue était plus extravagante et que sa peinture attirait plus de curieux.

Mais le grand Paul s’en allait vers cinq heures et demie, et il ne vit point la jolie blonde, celle-ci n’arrivant que plus tard.

C’est ce qu’il apprit ce jour-là, lendemain du jour où Raoul était venu. Il avait consulté sa montre et donnait les derniers coups de pinceau, lorsqu’une voix chuchota près de lui :

— Ne bougez pas. C’est moi, Sosthène.

Trois ou quatre personnes étaient groupées autour d’eux. Une à une, elles s’éloignèrent. D’autres s’arrêtèrent.

Sosthène, un gros bourgeois à tournure de pêcheur à la ligne, murmura, de manière à n’être entendu que de Valthex, et tout en se penchant vers le tableau avec l’intérêt d’un connaisseur :

— Vous avez lu les journaux de l’après-midi ?

— Non.

— L’Arabe a été interrogé de nouveau. Vous aviez raison : c’est bien lui qui vous a trahi et qui a donné l’indication du Casino Bleu. Mais il ne veut pas en dire davantage et refuse de marcher contre vous. Il n’a livré ni le nom de Valthex, ni celui de Raoul, et ne souffle pas mot de la petite. Donc, de ce côté, tout va bien.