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Il faut toujours compter avec la chance. C’était un des principes de Raoul… Une fois de plus, elle joua en sa faveur. Il n’y eut pas d’encombrement, les policiers qui n’étaient plus qu’à vingt pas, quand il démarra, furent aussitôt distancés.

À grande vitesse, quoique prudemment, car, autre principe, on ne doit pas forcer la chance, il gagna la Concorde, traversa la Seine, et en suivit le cours. Hors d’atteinte, il ralentit.

— Ouf ! se dit-il, nous y sommes.

Et, pour la première fois depuis qu’il s’était jeté en plein dans l’action, il se demanda :

« Et si ce n’était pas Antonine ! »

Autant son élan de conviction l’avait poussé à intervenir, autant, tout à coup, la foi l’abandonna. Mais non, mais non, ce ne pouvait pas être elle. Trop de preuves contraires s’opposaient à un fait qu’il avait admis sans réfléchir, et aucune preuve affirmative ne résistait à l’examen. Le grand Paul était un fou, un détraqué, dont l’émotion ne constituait pas un élément de vérité.

Raoul eut un accès de rire. Fallait-il que, dans certains cas, lorsque le mystère d’une femme le troublait, il fût naïf ! Un vrai collégien… mais un collégien que l’aventure passionnait. Antonine ou une autre, après tout, qu’importait ! Une femme était là qu’il avait sauvée, et la plus ardente, et la plus harmonieuse des femmes. Que pourrait-elle lui refuser ?

Il reprit de la vitesse. Un besoin fiévreux de savoir le stimulait. Pourquoi couvrait-elle sa figure d’une résille aux mailles jalouses ? La vision divine de son corps aurait-elle été abîmée par des traits déformés ou quelque mal affreux ? Et, d’autre part, si elle était belle, quelle raison étrange, quelle peur, quel déséquilibre, quel caprice, quel amour, l’obligeaient à ne pas faire au public l’offrande de sa beauté ?