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chapper, alors que quelques domestiques, postés à certaines fenêtres du dernier étage, n’avaient pas quitté des yeux la chanteuse, l’esplanade où elle chantait, son corps quand elle tombait, son cadavre quand elle gisait sur le sol ? alors que tous ces gens eussent vu, sans aucun doute, les allées et venues d’un homme, sa fuite entre les massifs, sa course éperdue ?… alors que, par-derrière, le décor des ruines plongeait en une falaise abrupte qu’il était matériellement impossible d’escalader ou de descendre ?…

S’était-il couché sous le lierre, ou dans quelque trou ? On chercha durant deux semaines. On fit venir de Paris un jeune policier, ambitieux et tenace, Gorgeret, qui avait déjà réussi des coups de maître. Peines perdues. Investigations sans résultat. L’affaire fut classée, au grand ennui de Gorgeret, qui se promit bien de ne jamais l’abandonner.

Effarés par ce drame, M. et Mme de Jouvelle quittèrent Volnic en annonçant leur volonté formelle de n’y jamais revenir.

Le château fut à vendre, tout meublé, tel qu’il était.

Quelqu’un l’acheta, six mois plus tard. On ne sut pas qui, Me Audigat, le notaire, ayant négocié la vente en grand secret.

Tous les domestiques, les fermiers, les jardiniers, reçurent leur congé. Seule la grosse tour, sous laquelle passait la voûte cochère, fut habitée par un individu d’un certain âge qui s’y installa avec sa femme : Lebardon, ancien gendarme. Mis à la retraite, il avait accepté ce poste de confiance.

Les gens du village essayèrent vainement de le faire parler : leur curiosité fut déjouée. Il montait la garde âprement. Tout au plus remarqua-t-on que, à diverses reprises, peut-être une fois par an, et à des époques différentes, un monsieur arrivait le soir en automobile, couchait au château, et repartait le lendemain dans la nuit. Le propriétaire, sans doute, qui venait s’entretenir avec Lebardon. Mais aucune certitude. On n’en sut pas davantage de ce côté.

Onze ans plus tard, le gendarme Lebardon mourait.

Sa femme demeura seule dans la tour d’entrée. Aussi peu bavarde que son mari, elle ne dit rien de ce qui se passait dans le château. Mais s’y passait-il quelque chose ?

Et quatre ans encore s’écoulèrent.


II

Clara la blonde

Gare Saint-Lazare. Entre les grilles qui défendent l’accès des quais et les issues qui conduisent au grand hall des Pas-Perdus, le flot des voya-