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Cependant, Raoul pensait à elle avec une ferveur qui l’étonnait lui-même, et celle qu’il évoquait, ce n’était pas l’Antonine inquiète, énigmatique, dont il fuyait les yeux au château de Volnic, et encore moins l’Antonine sournoise, douloureuse et comme soumise aux lois de la fatalité qui, la première nuit, dans la bibliothèque, accomplissait sa besogne de ténèbres — mais l’autre, celle du début, qu’il avait contemplée pour la première fois sur l’écran lumineux de son salon ! À ce moment-là, et durant sa brève visite involontaire, Antonine n’était que charme, insouciance, bonheur de vivre, espoir. Minutes fugitives dans une destinée âpre et accablante, mais minutes dont il avait profondément goûté la douceur et l’allégresse.

— Seulement — et c’était là une question qu’il se posait bien souvent et avec irritation — seulement, quelle est la raison secrète de ses actions ? Dans quel dessein mystérieux a-t-elle manœuvré de façon à capter la confiance du marquis ? Soupçonne-t-elle qu’il est son père ? Veut-elle venger sa mère ? Est-ce la richesse qu’elle poursuit ?

Obsédé par le souvenir et par tout ce qu’était cet être divers, incompréhensible et délicieux, Raoul, contrairement à ses habitudes, effectua le voyage au train le plus nonchalant. Il déjeuna en route et n’arriva que vers trois heures à Paris, avec l’intention de voir où Courville en était de ses préparatifs. Mais il n’avait pas monté la moitié de son étage que, brusquement, dans un élan, il enjamba quatre marches, et encore quatre marches, se rua vers sa porte, entra comme un fou, bouscula Courville qui rangeait la pièce, et s’abattit sur le téléphone de la ville, en gémissant :

— Crebleu, tout à fait oublié que je devais déjeuner avec la magnifique Olga. « Allo, mademoiselle ! Allo ! le Trocadéro-Palace ?… Donnez-moi l’appartement de Sa Ma-