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était assis devant la table et, après avoir tiré son stylographe, signait un chèque.

Un peu plus loin, debout, Jean d’Erlemont et Antonine suivaient ses gestes sans mot dire.

Toujours nonchalant et tranquille, Raoul se leva, et s’adressant au notaire avec la désinvolture d’un monsieur à qui incombe le soin de prendre les décisions :

— Dans un instant, maître Audigat, fit-il, je me permettrai de vous rejoindre à votre étude où il vous sera loisible auparavant d’examiner les pièces que je vais vous confier. Voulez-vous me préciser les renseignements dont vous avez besoin ?

Le notaire, abasourdi de cette façon d’agir, répliqua :

— Votre nom d’abord, monsieur.

— Voici ma carte : don Luis Perenna, sujet portugais, d’origine française. Voici mon passeport, et toutes références utiles. Pour le règlement, voici un chèque de la moitié, tiré sur la Banque portugaise de crédit, à Lisbonne, où j’ai mon compte. L’autre moitié vous sera versée à l’époque que M. d’Erlemont voudra bien me fixer à la fin de notre conversation.

— Notre conversation ? demanda le marquis surpris.

— Oui, monsieur, j’aurais plusieurs choses intéressantes à vous communiquer.

Le notaire, de plus en plus désorienté, fut sur le point de faire quelques objections, car, enfin, qui prouvait qu’il y eût un compte suffisant ? Qui prouvait que, dans l’intervalle nécessaire au paiement du chèque, la provision ne serait pas épuisée ? Qui prouvait ?… Il se tut. Il ne savait trop que dire en face de cet homme, qui l’intimidait et que son intuition personnelle lui montrait comme un monsieur peut-être pas très scrupuleux, en tout cas assez dangereux pour un officier ministériel attaché à la lettre des règlements.

Bref, il jugea prudent de réfléchir, et dit :

— Vous me trouverez à mon étude, monsieur.

Il s’en alla, sa serviette sous le bras. Jean d’Erlemont, désireux d’échanger quelques mots avec lui, l’accompagna jusqu’à la terrasse. Antonine, qui avait écouté les explications de Raoul avec une agitation visible, voulut également sortir. Mais Raoul avait refermé la porte et repoussa la jeune fille. Troublée, elle courut vers l’autre porte, qui donnait directement sur le vestibule. Raoul la rattrapa et la saisit par la taille.

— Eh bien, quoi, disait-il en riant, vous avez l’air bien farouche, aujourd’hui. Alors, on ne se connaît pas ? Gorgeret écarté tout à l’heure, le grand Paul démoli l’autre nuit,