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Courville risqua :

— Ne pensez-vous pas, monsieur, qu’il eût été plus efficace encore, puisque vous aviez décidé cette collaboration, d’en parler au marquis, et de lui dire que, moyennant dix pour cent, vous vous faisiez fort ?…

Raoul le foudroya du regard :

— Idiot ! Une affaire où l’on propose un million d’honoraires à une agence doit être d’un ordre de grandeur de vingt ou trente millions. À ce prix-là, je marche.

— Cependant, votre collaboration ?…

— Ma collaboration consiste à prendre tout.

— Mais le marquis ?…

— Il aura les dix pour cent. C’est une aubaine inespérée pour lui, célibataire et sans enfants. Seulement, il faut que je mette la main à la pâte moi-même. Conclusion : quand peux-tu m’introduire chez le marquis ?

Courville fut troublé et objecta timidement :

— C’est bien grave. Ne croyez-vous pas, monsieur, qu’il y a là de ma part, vis-à-vis du marquis ?…

— Une trahison… je te l’accorde. Que veux-tu, mon vieux, le destin te place cruellement entre ton devoir et ta reconnaissance, entre le marquis et Arsène Lupin. Choisis.

Courville ferma les yeux et répondit :

— Ce soir, le marquis dîne en ville et ne rentrera qu’à une heure du matin.

— Les domestiques ?

— Ils habitent l’étage supérieur, comme moi.

— Donne-moi ta clef.

Nouveau débat de conscience. Jusque-là, Courville avait pu s’imaginer qu’il concourait à assurer la protection du marquis. Mais livrer la clef d’un appartement, faciliter un cambriolage, se prêter à une formidable escroquerie… l’âme délicate de Courville hésitait.