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— Soyez la bienvenue, mademoiselle. Je n’ai certes pas oublié votre mère… Mais, mon Dieu, comme vous lui ressemblez ! Les mêmes cheveux… la même expression un peu timide… et surtout le même sourire que l’on aimait tant en elle !… Alors, c’est votre mère qui vous envoie ?

— Maman est morte, monsieur, il y a cinq ans. Elle vous avait écrit une lettre que je lui avais promis de vous apporter… au cas où j’aurais besoin d’un appui.

Elle parlait posément, son gai visage assombri de tristesse, et, comme elle offrait l’enveloppe où sa mère avait inscrit l’adresse, il ouvrit, jeta un coup d’œil sur la lettre, tressaillit, et, s’éloignant un peu, lut :

« Si vous pouvez faire quelque chose pour ma fille, faites-le… en souvenir d’un passé qu’elle connaît, mais où elle croit que vous n’avez joué que le rôle d’un ami. Je vous supplie de ne pas la détromper. Antonine est très fière, comme je l’ai été, et ne vous demandera que le moyen de gagner sa vie. Soyez remercié. — Thérèse. »

Le marquis demeura silencieux. Il se rappelait la délicieuse aventure, si joliment commencée, dans cette ville d’eaux du centre de la France où Thérèse accompagnait comme institutrice une famille anglaise. Ç’avait été pour Jean d’Erlemont un de ces caprices aussitôt finis qu’ébauchés, durant lesquels sa nature insouciante à l’époque, et fort égoïste, ne l’incitait guère à se pencher pour connaître celle qui se livrait à lui avec un tel abandon et une telle confiance. Le souvenir vague de quelques heures, c’est tout ce que sa mémoire avait conservé. Est-ce que, pour Thérèse, l’aventure aurait été quelque chose de plus sérieux et qui avait engagé toute sa vie ? Après la rupture brutale et sans explication, avait-il laissé derrière lui de