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pas dans le vestibule, il saisit la valise et répliqua, avec aplomb :

— C’est moi-même, mademoiselle.

Elle s’arrêta au seuil du salon, et murmura, décontenancée :

— Ah !… on m’avait dit que le marquis était… d’un certain âge…

— Je suis son fils, affirma froidement M. Raoul.

— Mais il n’a pas de fils…

— Pas possible ? En ce cas, mettons que je ne sois pas son fils. Ça n’a d’ailleurs aucune importance. Je suis au mieux avec le marquis d’Erlemont, quoique je n’aie pas l’honneur de le connaître.

Habilement, il la fit entrer et referma la porte.

Elle protesta :

— Mais, monsieur, il faut que je m’en aille… je me suis trompée d’étage.

— Justement… Reprenez haleine… L’escalier est abrupt comme une falaise…

Il avait un air si allègre et des manières si dégagées qu’elle ne put s’empêcher de sourire, tout en essayant de sortir du salon.

Mais, à ce moment, le même coup de timbre retentit sur le palier, et de nouveau l’écran lumineux apparut, entre les deux fenêtres, offrant un visage maussade, barré d’une grosse moustache.

— Zut ! la police ! s’écria M. Raoul, qui éteignit l’écran. Qu’est-ce qu’il vient faire ici, celui-là ?

La jeune fille s’inquiétait, confondue par l’apparition de cette tête.

— Je vous en prie, monsieur, laissez-moi partir.

— Mais c’est l’inspecteur principal Gorgeret ! un vilain coco ! une rosse !… dont la bobine ne m’est pas inconnue… Il ne faut pas qu’il vous voie et il ne vous verra pas…

— Il m’est tout à fait indifférent qu’il me voie, monsieur… Je désire m’en aller.

— À aucun prix, mademoiselle. Je ne veux pas que vous soyez compromise…

— Je ne serai pas compromise.

— Si, si… Tenez, veuillez passer dans ma chambre. Non ?… Alors, quoi, il faut bien cependant…

Il se mit à rire, assailli d’une idée qui l’amusait, offrit galamment sa main à la jeune fille, et la fit asseoir dans le vaste fauteuil.

— Ne bougez pas, mademoiselle. Ici vous êtes à l’abri de tous les regards, et, dans trois minutes, vous serez libre. Si vous ne voulez pas ma chambre comme refuge, vous acceptez bien un fauteuil, n’est-ce pas ?

Elle obéit malgré elle, tant son air joyeux et bon enfant se mêlait de décision et d’autorité.

Il eut un léger sautillement sur place, comme pour manifester son contentement. L’aventure s’annonçait sous les couleurs les plus agréables. Il alla ouvrir.

L’inspecteur Gorgeret entra, d’un bond, suivi par son collègue Flamant, et il cria aussitôt, d’un ton brutal :

— Il y a une dame ici. La concierge l’a vue passer et l’a entendue sonner.

M. Raoul l’empêcha doucement d’avancer, et lui dit avec beaucoup de politesse :

— Puis-je savoir ?…

— Inspecteur principal Gorgeret, de la Police judiciaire.

— Gorgeret ! s’exclama M. Raoul, le fameux Gorgeret ! celui qui a presque arrêté Arsène Lupin !

— Et qui compte bien l’arrêter un jour ou l’autre, dit l’inspecteur en se rengorgeant. Mais, pour aujourd’hui, il s’agit d’autre chose… ou plutôt d’un autre gibier. Une dame est montée, n’est-ce pas ?

— Une blonde ? fit Raoul, très jolie ?

— Si l’on veut…

— Alors, ce n’est pas cela. Celle dont je parle est très jolie, remarquablement jolie… le sourire le plus délicieux… le visage le plus frais…

— Elle est ici ?

— Elle sort d’ici. Il n’y a pas trois minutes qu’elle a sonné et m’a demandé si j’étais M. Frossin, demeurant au numéro 63 du boulevard Voltaire. Je lui ai expliqué son erreur et lui ai donné les indications nécessaires pour se rendre au boulevard Voltaire. Elle est repartie aussitôt.