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téresse aujourd’hui, c’est le drame de Volnic, c’est la mort d’Élisabeth Hornain, et c’est la récupération de votre fortune, monsieur. Vous ne m’en voudrez pas de ce préambule un peu long. Il nous permettra de résoudre ces divers problèmes en quelques phrases brèves. Et ainsi vous sera épargné l’interrogatoire humiliant d’un individu quelconque.

Le marquis profita d’une pause pour objecter :

— Je n’ai à subir aucun interrogatoire.

— J’ai la certitude, monsieur, dit Raoul, que la justice, qui n’a jamais rien compris au drame de Volnic, essaie de se retourner vers vous, et, sans savoir où elle va, désire certaines précisions sur votre rôle dans ce drame.

— Mais mon rôle dans le drame est nul.

— J’en suis persuadé. Mais alors, la justice se demande pourquoi vous n’avez pas déclaré vos relations avec Élisabeth Hornain, et pourquoi vous avez acheté secrètement le château de Volnic, et pourquoi vous y reveniez parfois la nuit. En particulier, et d’après certaines preuves impressionnantes, on vous accuse…

Le marquis tressauta :

— On m’accuse ! Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Qui donc m’accuse ? Et de quoi ?

Il apostrophait Raoul avec irritation, comme s’il voyait soudain en celui-ci un adversaire sur le point de l’attaquer. Il répéta durement :

— Encore une fois, qui m’accuse ?

— Valthex.

— Ce bandit ?

— Ce bandit a réuni contre vous un dossier redoutable dont il fera certainement part à la justice, aussitôt convalescent.

Antonine était pâle, anxieuse. Gorgeret avait quitté son masque impassible. Il écoutait avidement.

Le marquis d’Erlemont s’approcha de Raoul, et, la voix impérieuse, il exigea :

— Parlez… Je vous somme de parler… De quoi m’accuse ce misérable ?

— D’avoir tué Élisabeth Hornain.

Un silence prolongea ces mots terribles. Mais le visage du marquis se détendait, et il eut un rire où ne se mêlait la moindre gêne.

— Expliquez-vous, dit-il.

Raoul expliqua :

— Vous connaissiez, monsieur, à cette époque, un berger du pays, le père Gassiou, une sorte d’innocent, un peu fou, avec qui vous alliez souvent bavarder, durant vos séjours chez M. et Mme de Jouvelle. Or, le père Gassiou avait cette particularité d’être prodigieusement adroit. Il tuait du gibier à coups de pierres lancées par sa fronde, et tout s’est passé comme si ce demi-fou, soudoyé par vous, avait tué Élisabeth Hornain d’un coup de pierre pendant que celle-ci, sur votre demande, chantait dans les ruines.

— Mais c’est absurde ! s’écria le marquis. Il m’aurait fallu un motif, sacrebleu ! Pourquoi aurais-je fait tuer cette femme que j’aimais ?

— Pour garder ses bijoux, qu’elle vous avait confiés au moment de chanter.

— Ces bijoux étaient faux.

— Ils étaient vrais. Voilà ce qu’il y a de plus obscur dans votre conduite, monsieur ! Élisabeth Hornain les avait reçus d’un milliardaire d’Argentine !

Cette fois, le marquis d’Erlemont n’y tint plus. Il se dressa, hors de lui.

— Mensonge ! Élisabeth n’a jamais aimé personne avant moi ! Et c’est cette femme que j’aurais fait tuer ? Cette femme que j’aimais, que je n’ai jamais oubliée ! Quoi ! N’est-ce pas pour elle, pour sa mémoire, que j’ai acheté ce château, afin que l’endroit où elle était morte n’appartînt à personne d’autre qu’à moi ! Et si j’y revenais de temps à autre, n’était-ce pas pour prier sur ces ruines ? Si je l’avais tuée, aurais-je entretenu en moi l’affreux souvenir de mon crime ? Voyons, une telle accusation est monstrueuse !