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aussi, plus lourdement, mais avec autant de tranquillité, il gardait l’attitude nonchalante de quelqu’un à qui la situation paraît tout à fait normale. Il attendait. Le marquis d’Erlemont et Antonine attendaient également. Au fond, la pièce qui se jouait n’avait qu’un acteur, Raoul, les autres n’ayant qu’à prêter l’oreille, à regarder et à patienter jusqu’à ce qu’il les priât d’entrer en scène.

Tout cela n’était pas pour lui déplaire. Il aimait se pavaner et discourir, surtout aux instants de grand péril, et lorsque le dernier acte des pièces montées par lui eût exigé, conformément aux règles ordinaires, la concision, la sobriété des gestes. Se promenant, les mains au dos, il prenait un air tour à tour avantageux, pensif, dégagé, sombre ou rayonnant. À la fin, suspendant ses allées et venues, il dit au marquis :

— J’hésitais à parler, monsieur. Il me semblait, en effet, que, notre rendez-vous étant privé, la présence de personnes étrangères ne nous permettait pas de traiter en toute liberté d’esprit les questions pour lesquelles nous sommes réunis. À la réflexion, il n’en est pas ainsi. Ce que nous avons à dire peut être dit devant n’importe qui, fût-ce même devant quelque représentant subalterne de cette police qui vous suspecte vous-même, monsieur, et qui se permet de vous demander des comptes. Je vais donc établir la situation telle qu’elle est, sans autre but que la vérité et la justice. Les honnêtes gens ont le droit de porter la tête haute.

Il s’interrompit. Quelle que fût la gravité de l’heure, si inquiète et si désemparée que se sentît Antonine, elle dut serrer la bouche pour ne pas sourire. Il y avait dans l’intonation pompeuse de Raoul, dans le clignement imperceptible de ses yeux, dans le retroussement de sa lèvre, dans un certain balancement de son buste sur ses hanches, quelque chose de comique qui écartait toute interprétation maussade des événements. Et quelle sécurité ! Quelle désinvolture en face du danger ! On devinait que pas un mot n’était prononcé qui ne fût utile et que tous, au contraire, visaient à troubler l’ennemi.

— Nous n’avons pas à nous occuper, continua-t-il, de ce qui s’est passé récemment. La double existence de Clara la Blonde et d’Antonine Gautier, leur ressemblance, leurs actes, les actes du grand Paul, les actes du sieur Raoul, le conflit qui, à un moment, a opposé ce parfait gentilhomme au policier Gorgeret, la supériorité écrasante du premier sur le second, autant de questions définitivement réglées, sur lesquelles aucune puissance au monde ne peut revenir. Ce qui nous in-