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— Je m’excuse si je dois remonter un peu haut dans les annales de votre famille. Mais l’origine du mal est plus lointaine que vous ne pensiez, et lorsque vous étiez obsédés par les deux dates sinistres où sont morts tragiquement vos deux aïeux innocents, vous ignoriez que ces deux dates étaient déterminées par une petite aventure plus ou moins sentimentale qui se place aux trois quarts du dix-huitième siècle, c’est-à-dire à une époque où votre hôtel était déjà construit, n’est-ce pas ? depuis vingt-cinq ans.

— Oui, approuva le comte, une des pierres de la façade porte la date de 1750.

— Or, c’est en 1772 que votre aïeul François de Mélamare, père de celui qui fut général et ambassadeur, grand-père de celui qui mourut dans sa cellule, le remeubla et en fit ce qu’il est exactement aujourd’hui, n’est-ce pas ?

— Oui. Tous les comptes des travaux sont entre mes mains.

— François de Mélamare venait d’épouser la fille d’un riche financier, la très belle Henriette qu’il aimait éperdument et de qui il était fort aimé, et il voulait qu’elle eût un cadre digne d’elle. D’où les dépenses qu’il fit, sans prodigalités inutiles d’ailleurs, mais avec discernement et en s’adressant aux meilleurs artistes. François et la tendre Henriette, selon son expression, furent très heureux ensemble. Aucune femme ne semblait au jeune mari plus belle que la sienne. Rien ne lui semblait de meilleur goût et de plus charmant que les œuvres d’art et les meubles qu’il avait choisis ou commandés pour orner son intérieur. Il passait son temps à les ranger, et à les cataloguer.

» Or, cette vie calme et de plaisirs tout intimes, si elle persista pour la comtesse que l’éducation de ses enfants absorbait, se trouva par la suite quelque peu désorganisée du côté de François de Mélamare. La mauvaise chance voulut qu’il s’amourachât d’une fille de théâtre, la Valnéry, toute jeune, jolie, spirituelle, ayant un très petit talent et de très grandes ambitions. En apparence, aucun changement. François de Mélamare gardait à sa femme toute son affection, tout son respect et, comme il le disait, les sept huitièmes de son existence. Mais chaque matin, de dix heures à une heure, sous prétexte de promenade ou de visites aux ateliers de peintres célèbres, il allait dîner