Page:Leblanc - La Demeure mystérieuse, paru dans Le Journal, 1928.djvu/84

Cette page a été validée par deux contributeurs.

jamais changé d’opinion : vous seul pouvez me rendre ce qui m’a été volé.

Une voiture venait d’entrer dans la cour. On y installa Fagerault. Les trois agents prirent place autour de lui, et Béchoux leur dit, à voix basse :

— Ouvrez l’œil… pas tant sur celui-là que sur d’Enneris, quand le moment sera venu… On le tient, on ne le lâchera pas, hein ?

Puis Béchoux rejoignit d’Enneris. M. de Mélamare avait téléphoné pour contremander le notaire. Gilberte avait mis un manteau et un chapeau. Ils montèrent avec Arlette dans l’auto de Van Houben.

— Traverse la Seine au bout des Tuileries, ordonna Jean, et file à droite par la rue de Rivoli.

On se taisait. Avec quelle passion anxieuse Gilberte et Adrien de Mélamare attendaient les événements ! Pourquoi cette course en auto ? Vers quoi allait-on ? Comment la vérité se traduirait-elle ?

D’Enneris murmura, d’un ton assourdi, en ayant l’air de se parler à soi-même plutôt que de renseigner ceux qui l’écoutaient :

— Le secret des Mélamare ! combien j’y ai réfléchi ! Dès le début, dès l’enlèvement de Régine et d’Arlette, j’ai eu l’intuition qu’on se trouvait en face d’un de ces problèmes où le présent ne s’explique que par un passé déjà lointain… Et ces problèmes, tant de fois ils m’ont captivé ! et tant de fois je les ai résolus ! Un point me parut tout de suite hors de discussion : M. et Mme de Mélamare ne pouvaient être coupables. Dès lors devait-on croire que d’autres gens utilisaient leur hôtel pour l’exécution de leurs desseins ? Ce fut la thèse d’Antoine Fagerault. Mais l’intérêt de Fagerault était que l’on crût cela et que la justice s’égarât dans cette direction. Et, d’autre part, pouvait-on admettre qu’Arlette et que Régine eussent été amenées dans ce salon sans attirer l’attention de M. et de Mme de Mélamare, de François et de sa femme ?

Il se tut un moment. Adrien de Mélamare, penché sur lui, le visage crispé, chuchota :

— Parlez… Parlez… je vous en supplie.

Il répondit lentement :

— Non… ce n’est pas par paroles que vous devez apprendre la vérité… Ne me pressez pas…

Et il continuait :

— Elle est si simple, cependant ! Je me demande comment elle ne s’est jamais présentée à l’esprit de ceux qui l’ont cherchée, ainsi qu’une ombre fuyante. Pour moi, l’étincelle a résulté du choc des quelques faits que j’ai rappelés. Ajoutons, si vous voulez, ces vols bizarres dont vous avez été victime, cette disparition de menus objets sans importance, qui semble inexplicable, et qui a une telle signification ! Car enfin, si l’on a volé des objets sans valeur réelle, c’est qu’ils ont une valeur spéciale pour ceux qui les volent !

Il se tut de nouveau. Le comte eut un accès d’impatience. À l’instant de savoir, il était torturé par le besoin effréné de savoir tout de suite. Gil-