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ainsi qu’une bête blessée, toucha du genou et s’étendit tout de son long.

Dans le tumulte, parmi des clameurs de révolte, le comte et Van Houben voulurent s’emparer de Jean, tandis que Gilberte et Arlette cherchaient à soigner Antoine. De ses deux bras tendus, d’Enneris les écarta tous les quatre, et, les tenant à distance, interpella Béchoux d’une voix pressante :

— Aide-moi, Béchoux. Allons, mon vieux camarade de bataille, un coup de main. Tu sais bien, toi qui m’as vu souvent à l’œuvre, que je n’agis pas à l’aveuglette, et que je dois avoir des raisons graves pour casser les vitres. Ma cause est la tienne, dans cette affaire. Aide-moi, Béchoux.

Impassible, le brigadier avait assisté à la scène, comme un arbitre qui juge les coups et qui ne prend de décision qu’en connaissance de cause. Les événements se présentaient de telle façon qu’il ne pouvait manquer, d’un côté comme de l’autre, d’y trouver son bénéfice, et que le duel à mort qui venait de s’engager lui livrerait les deux combattants pieds et poings liés. Aussi les appels au vieux camarade de bataille le laissèrent complètement insensible. Béchoux était bien décidé à se conduire en réaliste.

Il dit à d’Enneris :

— Tu sais que j’ai trois hommes en bas ?

— Je sais, et je compte sur toi pour les utiliser contre toute cette bande de fripouilles.

— Et contre toi peut-être, ricana Béchoux.

— Si le cœur t’en dit. Tu as tous les atouts en main aujourd’hui. Joue ta partie sans pitié. C’est ton droit et ton devoir.

Béchoux prononça, comme s’il obéissait à ses réflexions, alors qu’il subissait la volonté de d’Enneris :

— Monsieur le comte de Mélamare, dans l’intérêt de la justice, je vous prie de patienter. Si les accusations lancées contre Antoine Fagerault sont fausses, nous ne tarderons pas à le savoir. En tout cas, je prends l’entière responsabilité de ce qui arrivera.

C’était laisser à d’Enneris toute latitude. Il en profita aussitôt pour accomplir l’acte le plus ahurissant que l’on pût concevoir. Il tira de sa poche un petit flacon rempli d’un liquide brunâtre et en versa la moitié sur une compresse toute préparée. Une odeur de chloroforme se dégagea. D’Enneris appuya ce masque sur le visage d’Antoine Fagerault et l’y attacha par un cordon passé autour de la tête.

La chose était si extravagante, en opposition si forte avec ce que le comte pouvait permettre, qu’il fallut un nouvel effort de Béchoux pour apaiser M. de Mélamare et sa sœur. Arlette demeurait interdite, ne sachant que penser et les larmes aux yeux. Van Houben tempêtait.

Cependant Béchoux, qui ne pouvait plus reculer, insista. :

— Monsieur le comte, je connais l’individu. Je vous affirme que nous devons attendre.

Et Jean, s’étant relevé, s’approcha de M. de Mélamare et lui dit :

— Je m’excuse sincèrement, monsieur, et je vous supplie de croire qu’il n’y a là, de ma part, ni caprice ni brutalité inutile. La vérité doit être découverte souvent par des moyens spéciaux. Or, cette vérité, c’est tout simplement le secret des machinations qui ont fait tant de mal à votre famille et à vous-même… Vous entendez, monsieur… le secret des Mélamare… Je le connais. Il ne tient qu’à vous de le connaître et de détruire le maléfice. Ne m’accorderez-vous pas les vingt minutes de confiance dont j’ai besoin ? Vingt minutes, pas davantage.

D’Enneris n’attendit même pas la réponse de M. de Mélamare. Son offre était de celles qu’on ne refuse pas. Il se tourna vers Van Houben, et d’un ton plus sec :

— Toi, tu m’as trahi. Soit. Passons là-dessus. Aujourd’hui, veux-tu les diamants que cet homme t’as volés ? Si oui, cesse de grogner. Il te les rendra.

Restait le brigadier Béchoux. D’Enneris lui dit :

— À ton tour, Béchoux. Voici ta part de butin. Je t’offre d’abord la vérité, cette vérité que tous les gens de la Préfecture cherchent vainement autour de toi, et que tu leur serviras toute chaude. Je t’offre ensuite Antoine Fagerault, que je te livrerai comme un cadavre, s’il ne marche pas droit. Et, en fin de compte, je t’offre les deux complices, Laurence Martin et son père. Il est quatre heures. À six heures exactement, tu les auras. Ça te va ?