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vais pour elle. Je dirai qu’après un voyage de plusieurs années, entrepris à la suite de son refus, je suis revenu à Paris au moment où ses épreuves commençaient, que je me suis juré d’établir son innocence et celle de son frère, que j’ai découvert sa retraite, et que je l’ai persuadée de revenir chez elle.

» Et, lorsque les magistrats seront déjà ébranlés par votre déposition moins catégorique et les doutes de Régine Aubry, alors je redirai les confidences de Gilberte, je révélerai le secret des Mélamare, et j’établirai les conclusions qu’il faut en tirer. Le succès est certain. Mais, comme vous le voyez, mademoiselle Arlette, le premier pas c’est vous et c’est Régine Aubry qui devez le faire. Si vous n’êtes pas franchement résolues, si vous ne voyez que les contradictions et les insuffisances de mes explications, regardez Gilberte de Mélamare, et demandez-vous si une telle femme peut être voleuse.

Arlette n’hésita pas. Elle déclara :

— Je déposerai demain dans le sens que vous m’indiquez.

— Moi de même, dit Régine.

— Mais j’ai bien peur, monsieur, dit Arlette, que le résultat ne soit pas conforme à votre désir… à notre désir à tous.

Il conclut posément :

— Je réponds de tout. Adrien de Mélamare ne quittera peut-être pas sa prison demain soir. Mais les choses tourneront d’une telle manière que la justice n’osera pas arrêter Mme de Mélamare, et que son frère conservera assez d’espoir pour vivre jusqu’à l’heure de la libération.

Gilberte lui tendit la main de nouveau.

— Je vous remercie encore, je vous ai méconnu autrefois, Antoine. Ne m’en veuillez pas.

— Je ne vous en ai jamais voulu, Gilberte, et je suis trop heureux de servir votre cause. Je l’ai fait pour vous, en souvenir du passé. Je l’ai fait aussi parce que c’était juste, et parce que…

Il dit plus bas, d’un air grave :

— Il y a des actes qu’on accomplit avec plus d’enthousiasme quand on les accomplit sous les yeux de certaines personnes. Il semble que ces actes, bien naturels cependant, prennent une allure d’exploits, et qu’ils vous aideront à gagner l’estime et l’affection de ceux qui vous voient agir.

Cette petite tirade fut prononcée très simplement, sans aucune affectation et en l’honneur d’Arlette. Mais la position des personnages dans la pièce, à ce moment, ne permettait pas à d’Enneris de voir leurs figures, et il crut que la déclaration s’adressait à Gilberte de Mélamare.

Une seconde seulement, il soupçonna la vérité, ce qui valut à Béchoux une douleur intolérable entre les deux omoplates. Jamais le brigadier n’aurait cru que des doigts pussent donner cette impression de tenailles. Par bonheur, cela ne se prolongea point.

Antoine Fagerault n’avait pas insisté. Ayant sonné le couple des vieux domestiques, il leur donna des instructions minutieuses sur le rôle qu’ils devaient jouer le lendemain et sur les réponses qu’ils devaient faire. Le soupçon de d’Enneris se dissipa.

Ils écoutèrent encore quelques minutes. Mais il semblait que la conversation fût terminée. Régine proposait à Arlette de la reconduire.

— Allons-nous-en, murmura d’Enneris. Ces gens-là n’ont plus rien à se dire.

Il partit, irrité contre Antoine Fagerault et contre Arlette. Il traversa le boudoir et le vestibule, avec le désir d’être entendu, afin de pouvoir exhaler sa mauvaise humeur.

En tout cas, dehors, il la passa sur Van Houben, qui jaillit d’un massif pour lui réclamer ses diamants, et qui fut rejeté prestement par une bourrade vigoureuse.

Béchoux n’eut pas beaucoup plus de chance, quand il voulut formuler un avis.

— Après tout, cet homme n’est pas antipathique.

— Idiot ! grinça d’Enneris.

— Pourquoi, idiot ? Tu n’admets pas chez lui une certaine sincérité ? Son hypothèse…

— Re-idiot !

Le brigadier flancha sous l’épithète.

— Oui, je sais, il y a notre rencontre dans la boutique du Trianon, son coup d’œil avec la revendeuse, et la fuite de celle-ci. Mais ne crois-tu pas que tout peut s’accorder ?