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comme une femme qui cherche à plaire.

— Eh ! eh ! Régine, lui dit Van Houben, que ce manège semblait agacer, vous allez lui tourner la tête, au navigateur. Songez qu’après une année vécue sur l’eau un homme s’enflamme aisément.

Van Houben riait toujours très fort de ses plaisanteries les plus vulgaires.

— Mon cher, observa Régine, si vous n’étiez pas le premier à rire je ne m’apercevrais jamais que vous avez essayé de faire de l’esprit.

Van Houben soupira, et, affectant un air lugubre :

— D’Enneris, un conseil. Ne perdez pas la tête pour cette femme. Moi, j’ai perdu la mienne, et je suis malheureux comme un tas de pierres… de pierres précieuses, ajouta-t-il, avec une lourde pirouette.

Sur la scène, le défilé des robes commençait. Chacune des concurrentes demeurait environ deux minutes, se promenait, s’asseyait, évoluait à la façon des mannequins dans les salons de couture.

Son tour approchant, Régine se leva.

— J’ai un peu le trac, dit-elle. Si je ne décroche pas le premier prix, je me brûle la cervelle. Monsieur d’Enneris, pour qui votez-vous ?

— Pour la plus belle, répondit-il, en s’inclinant.

— Parlons de la robe…

— La robe m’est indifférente. C’est la beauté du visage et le charme du corps qui importent.

— Eh bien, dit Régine, la beauté et le charme, admirez-les donc chez la jeune personne qu’on applaudit en ce moment. C’est un mannequin de la maison Chernitz, dont les journaux ont parlé, qui a composé sa toilette elle-même et en a confié l’exécution à ses camarades. Elle est délicieuse, cette enfant.

La jeune fille, en effet, fine, souple, harmonieuse de gestes et d’attitudes, donnait l’impression de la grâce même, et, sur son corps onduleux, sa robe, très simple cependant mais d’une ligne infiniment pure, révélait un goût parfait et une imagination originale.

— Arlette Mazolle, n’est-ce pas ? dit Jean d’Enneris en consultant le programme.

— Oui, fit Régine.

Et elle ajouta, sans aigreur ni envie :

— Si j’étais du jury, je n’hésiterais pas à placer Arlette Mazolle en tête de ce classement.

Van Houben fut indigné.

— Et votre tunique, Régine ? Que vaut l’accoutrement de ce mannequin à côté de votre tunique ?

— Le prix n’a rien à voir…

— Le prix compte par-dessus tout, Régine. Et c’est pourquoi je vous conjure de faire attention.

— À quoi ?

— Aux pickpockets. Rappelez-vous que votre tunique n’est pas tissée avec des noyaux de pêche.

Il éclata de rire. Mais Jean d’Enneris l’approuva.

— Van Houben a raison, et nous devrions vous accompagner.

— Jamais de la vie, protesta Régine. Je tiens à ce que vous me disiez l’effet que je produis d’ici, et si je n’ai pas l’air trop godiche sur la scène de l’Opéra.

— Et puis, dit Van Houben, le brigadier de la sûreté Béchoux répond de tout.

— Vous connaissez donc Béchoux ? fit d’Enneris d’un air intéressé… Béchoux, le policier qui s’est rendu célèbre par sa collaboration avec le mystérieux Jim Barnett, de l’agence Jim Barnett et Cie ?…

— Ah ! il ne faut pas lui en parler, de ce maudit Barnett. Ça le rend malade. Il paraît que Barnett lui en a fait voir de toutes les couleurs !

— Oui, j’ai entendu parler de cela… L’histoire de l’homme aux dents d’or ? et les douze Africaines de Béchoux ?[1] Alors c’est Béchoux qui a organisé la défense de vos diamants ?

— Oui, il partait en voyage pour une dizaine de jours. Mais il m’a engagé à prix d’or trois anciens policiers, des gaillards qui veillent à la porte.

D’Enneris observa :

— Vous auriez engagé un régiment que cela ne suffirait pas pour déjouer certaines ruses…

Régine s’en était allée et, flanquée de ses détectives, sortait de la salle et pénétrait dans les coulisses. Comme elle passait au onzième tour et qu’il y avait un léger intervalle après la dixième concurrente, une attente presque solennelle précéda son entrée. Le silence s’établit. Les attitudes se fixèrent. Et soudain une formidable acclamation : Régine s’avançait.

  1. L’Agence Barnett et Cie, un volume