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— Peut-être a-t-elle sauté par le jardin ? observa la femme.

— Pas possible. Les deux fenêtres sont closes.

— Et l’alcôve ?

Il y avait sur la gauche, entre la cheminée et l’une des fenêtres, un de ces petits réduits à usage d’alcôve qui, jadis, attenaient aux salons dont ils étaient séparés par une cloison mobile. L’homme tira la cloison.

— Personne.

— Alors ?

— Alors, je ne sais pas, et c’est grave.

— Pourquoi ?

— Si elle s’échappe ?

— Comment s’échapper ?

— Oui, en effet. Ah ! la mâtine, si je la pince, tant pis pour elle !

Ils sortirent, après avoir éteint l’électricité.

La pendule de la cheminée sonna sept heures, d’une petite voix aigrelette et démodée qui tintait clair comme du métal.

Arlette entendit aussi huit heures, neuf heures et dix heures. Elle ne bougeait pas. Elle n’osait. La menace de l’homme la tenait blottie et frissonnante.

Ce n’est qu’après minuit, que, plus calme, sentant la nécessité d’agir, elle descendit de son poste. La coupe de bronze bascula et tomba sur le parquet avec un tel fracas que la jeune fille resta pétrifiée et chancelante d’angoisse. Cependant personne n’entra. Elle remit la coupe en place.

Une grande lumière venait du dehors. Elle s’approcha d’une fenêtre et vit un jardin qui allongeait sous la lune éclatante une pelouse bordée d’arbustes. Cette fois elle réussit à ouvrir la croisée.

S’étant penchée, elle constata que le niveau du sol devait être, sur cette façade, plus élevé, et qu’il n’y avait pas la hauteur d’un étage. Elle n’hésita pas, enjamba le balcon et se laissa choir sur du gravier, sans se faire aucun mal.

Elle attendit qu’un nuage obscurcît la lune, traversa vivement un espace nu et gagna la ligne sombre des arbustes. Les ayant suivis en se courbant, elle arriva au pied d’un mur dressé en pleine lumière et trop haut pour qu’elle pût espérer le franchir. Un pavillon le flanquait à droite, qui ne semblait pas habité. Les volets en étaient clos. Elle s’approcha doucement. Avant le pavillon, il y avait une porte dans le mur, verrouillée, et, dans la serrure, une grosse clef. Elle ôta les verrous, tourna la clef et tira.

Elle n’eut que le temps d’ouvrir et de sauter dans la rue : ayant jeté un coup d’œil en arrière, elle avait vu une ombre qui courait à sa poursuite.

La rue était déserte. Cinquante pas plus loin peut-être, s’étant retournée, elle aperçut l’ombre qui semblait gagner de vitesse. L’épouvante la secoua, et, malgré son cœur qui haletait et ses jambes qui se dérobaient, elle avait l’impression exaltante que personne n’aurait pu la rattraper.

Impression fugitive : ses forces la trahirent d’un coup, ses genoux plièrent, et elle fut sur le point de tomber. Mais alors des gens passaient dans une autre rue très animée où elle s’engageait. Un taxi se proposa.