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Puis, comme la barque approchait, elle se redressa et, tout à coup impérieuse et dure :

— Mais je ne risque rien, Léonard… pas plus de mourir que d’échouer.

— Enfin quoi ! Que veux-tu faire ?

— L’enlever.

— Oh ! oh ! tu espères…

— Tout est prêt. Les moindres détails sont réglés.

— Comment ?

— Par l’intermédiaire de Dominique.

— Dominique ?

— Oui, dès le premier jour, avant même que Raoul arrivât à la Haie d’Étigues, Dominique s’y faisait engager comme palefrenier.

— Mais Raoul le connaît…

— Raoul l’a peut-être aperçu une fois ou deux, mais tu sais à quel point Dominique est habile pour se grimer. Il est absolument impossible qu’on le distingue parmi tout le personnel du château et des écuries. Donc, Dominique m’a tenue au courant jour par jour et s’est conformé à mes instructions. Je sais les heures où Raoul se lève et se couche, comment il vit, et tout ce qu’il fait. Je sais qu’il n’a pas encore revu Clarisse, mais qu’on est en train de réunir les papiers nécessaires au mariage.

— Se méfie-t-il ?

— De moi, non. Dominique a entendu les bribes d’une conversation que Raoul a eue avec Godefroy d’Étigues le jour où il s’est présenté au château. Ma mort ne faisait pas de doute pour eux. Mais Raoul n’en voulait pas moins que l’on prît contre moi, morte, toutes les précautions possibles. Donc, il observe, il guette, il monte la garde autour du château, il interroge les paysans.

— Et Dominique te laisse quand même venir ?

— Oui, mais durant une heure seulement. Un coup de main hardi, rapide, la nuit, et aussitôt la fuite.

— Et c’est ce soir ?

— Ce soir de dix à onze. Raoul occupe un pavillon de garde, isolé, non loin de la vieille tour où Beaumagnan m’avait fait conduire. Ce pavillon, à cheval sur le mur d’enceinte, n’a du côté de la campagne qu’une fenêtre au rez-de-chaussée, et pas de porte. Pour y pénétrer, si les volets sont clos, il faut franchir le grand portail du verger et rejoindre la façade intérieure. Les deux clefs seront, ce soir, sous une grosse pierre, près du portail. Raoul étant couché, on le roulera dans son matelas et dans ses couvertures qui sont larges, et on l’emportera jusqu’ici. À l’instant même, départ.

— C’est tout ?

Joséphine Balsamo hésita, puis répondit nettement :

— C’est tout.

— Mais Dominique ?

— Il partira avec nous.

— Tu ne lui as pas donné d’ordre spécial ?

— À quel propos ?

— À propos de Clarisse ? Tu la hais, cette petite. Alors, je crains bien que tu n’aies chargé Dominique de quelque besogne…

Josine hésita de nouveau avant de répondre :

— Cela ne te regarde pas.

— Cependant…

La barque glissait au flanc du bateau. Josine déclara, d’un ton de plaisanterie :

— Écoute, Léonard, depuis que je t’ai créé prince Lavorneff et doté d’un yacht splendidement aménagé, tu deviens tout à fait indiscret. Ne sortons pas de nos conventions, veux-tu ? Moi, je commande, et, toi, tu obéis. Tout au plus as-tu droit à quelques explications. Je te les ai données. Fais comme si elles te suffisaient.

— Elles me suffisent, dit Léonard, et je reconnais que ton affaire est fort bien combinée.

— Tant mieux. Descendons.

Elle descendit la première dans la barque et s’installa.

Léonard et quatre de leurs complices l’accompagnèrent. D’eux d’entre eux saisirent les rames, tandis qu’elle se mettait à l’arrière et donnait ses ordres, aussi bas que possible.

— Nous doublons la porte d’Amont, dit-elle au bout d’un quart d’heure, bien que