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de fiançailles que tu portes au doigt, il a volé. C’est un cambrioleur, un escroc. Tiens, son nom même, son joli nom d’Andrésy, une escroquerie tout simplement. Raoul d’Andrésy ? Allons donc ! Arsène Lupin, le voilà son nom véritable. Retiens-le, Clarisse, il sera célèbre.

» Ah ! c’est que je l’ai vu à l’œuvre, ton amant ! Un maître ! Un prodige d’adresse ! Quel joli couple vous feriez si je n’y mettais bon ordre, et quel enfant prédestiné sera le vôtre, fils d’Arsène Lupin et petit-fils du baron Godefroy. »

Cette idée de l’enfant donna de nouveau un coup de fouet à sa fureur. La folie du mal se déchaînait.

— Léonard…

— Ah ! sauvage, lui jeta Raoul éperdu. Quelle ignominie !… Hein tu te démasques, Joséphine Balsamo ? Plus la peine de jouer la comédie, n’est-ce pas ? C’est bien toi, le bourreau ?…

Mais elle était intraitable, butée dans son désir barbare de faire le mal et de martyriser la jeune fille. Elle-même poussa Clarisse que Léonard entraînait vers la porte.

— Lâche ! monstre ! hurlait Raoul. Un seul de ses cheveux, tu entends… un seul ! et c’est la mort pour vous deux. Ah ! les monstres ! Mais laissez-la donc !

Il s’était tendu si violemment contre ses liens que tout le mécanisme imaginé par Beaumagnan pour le retenir se démolit, et que la persienne vermoulue fut arrachée de ses gonds et tomba dans la pièce, derrière lui.

Il y eut un instant d’inquiétude dans le camp adverse. Mais les cordes, quoique relâchées, étaient solides et entravaient suffisamment le captif pour qu’il ne fût pas à craindre. Léonard sortit son revolver et l’appliqua sur la tempe de Clarisse.

— S’il fait un pas de plus, un seul mouvement, tire, commanda la Cagliostro.

Raoul ne bougea pas. Il ne doutait pas que Léonard n’exécutât l’ordre à la seconde même, et que le moindre geste ne fût la condamnation immédiate de Clarisse. Alors ?… Alors devait-il se résigner ? N’y avait-il aucun moyen de la sauver ?

Joséphine Balsamo ne le perdait pas de vue.

— Allons, dit-elle, tu comprends la situation, et te voilà plus sage.

— Non, répondit-il, très maître de lui… non, mais je réfléchis.

— À quoi ?

— Je lui ai promis qu’elle serait libre et qu’elle n’avait rien à redouter. Je veux tenir ma promesse.

— Un peu plus tard, peut-être, dit-elle.

— Non, Josine, tu vas la délivrer.

Elle se retourna vers son complice.

— Tu es prêt, Léonard ? Va, et que ce soit rapide.

— Arrête, exigea Raoul, d’un ton où il y avait une telle certitude d’être obéi qu’elle eut une hésitation.

— Arrête, répéta-t-il, et délivre-la… Tu entends, Josine, je veux que tu la délivres… Il ne s’agit pas de différer l’ignoble chose qui allait se faire ou d’y renoncer. Il s’agit de délivrer sur-le-champ Clarisse d’Étigues et de lui ouvrir cette porte toute grande.

Il fallait qu’il fût bien sûr de lui, et que sa volonté fût soutenue par des motifs bien extraordinaires pour qu’il la formulât avec tant d’impérieuse solennité.

Lui-même impressionné, Léonard demeurait indécis, Clarisse, qui n’avait pas saisi cependant toute l’horreur de la scène, parut réconfortée.

La Cagliostro, interdite, murmura :

— Des mots, n’est-ce pas ? Quelque ruse nouvelle…

— Des faits, affirma-t-il… ou plutôt un fait qui domine tout et devant lequel tu t’inclineras.

— Qu’est-ce que cela signifie ? demanda la Cagliostro, de plus en plus troublée. Que désires-tu ?

— Je ne désire pas… j’exige.

— Quoi ?

— La liberté immédiate de Clarisse, la liberté de partir d’ici, sans que Léonard ni toi ne remuent d’un seul pas.

Elle se mit à rire et demanda :

— Rien que cela ?

— Rien que cela.

— Et en échange, tu m’offres ?…

— Le mot de l’énigme.

Elle tressaillit.

— Tu le connais donc ?

— Oui.

Le drame changeait soudain. De tout l’antagonisme furieux qui les jetait les uns contre les autres dans la haine et dans l’exécration de l’amour et de la jalousie il semblait que se dégageât le seul souci de la grande entreprise. L’obsession de la vengeance chez la Cagliostro passait au second plan. Les mille et mille pierres précieuses des moines avaient scintillé devant ses yeux, selon la volonté de Raoul.

Beaumagnan, à demi dressé, écoutait avidement.

Laissant Clarisse sous la garde de son complice, Josine s’avança et dit :

— Suffit-il de connaître le mot de l’énigme ?