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— Et vous vous rappelez cette inscription ?

— Peut-être… je ne sais pas… c’étaient des mots latins…

— Des mots latins ? Cherchez bien…

— Ai-je le droit ?… Si c’est un secret si grave, dois-je le révéler ?…

Clarisse hésitait.

— Vous le pouvez, Clarisse, je vous l’assure… Vous le pouvez parce que ce secret n’appartient à personne. Nul au monde n’a aucun titre à le connaître plus spécialement que votre père, ou ses amis, ou moi. Il est à celui qui le découvrira, au premier passant venu qui saura en tirer parti.

Elle céda. Ce que Raoul affirmait devait être juste.

— Oui… oui… sans doute avez-vous raison… Mais, n’est-ce pas ? j’y attachais si peu d’importance, à cette inscription, que je dois rassembler mes souvenirs… et en quelque sorte traduire ce que j’ai lu… Il était question d’une pierre… et d’une reine…

— Il faut vous rappeler, Clarisse, il le faut, supplia Raoul, que l’expression plus sombre de la Cagliostro inquiétait.

Lentement, la figure contractée par l’effort de mémoire qu’elle accomplissait, se reprenant et se contredisant, la jeune fille réussit à prononcer :

— Voilà … je me souviens… voilà exactement la phrase que j’ai déchiffrée… cinq mots latins… dans cet ordre…

Ad lapidem currebat olim regina

C’est tout au plus si elle eut le loisir d’articuler la dernière syllabe. Joséphine Balsamo qui semblait plus agressive et s’était rapprochée de la jeune fille, lui criait :

— Mensonge ! Cette formule, nous la connaissons depuis longtemps Beaumagnan peut le certifier. N’est-ce pas, Beaumagnan, nous la connaissons ?… Elle ment, Raoul, elle ment. Ces cinq mots-là, le cardinal de Bonnechose y fait allusion dans son résumé, et il leur accorde si peu d’attention, et leur refuse si nettement le moindre sens que je ne t’en ai même pas parlé !… Vers la pierre jadis courait la reine. Mais où se trouve-t-elle, cette pierre et de quelle reine s’agit-il ? Voilà vingt ans qu’on cherche. Non, non, il y a autre chose.

De nouveau elle était reprise de cette colère terrible qui ne se manifestait ni par éclats de voix ni par mouvements désordonnés, mais par une agitation tout intérieure, que l’on devinait à certains signes, et surtout à la cruauté anormale et inusitée des paroles.

Penchée contre la jeune fille, et la tutoyant, elle scandait :

— Tu mens !… tu mens !… Il y a un mot qui résume ces cinq-là… Lequel ? Il y a une formule… une seule… laquelle ? Réponds.

Terrorisée, Clarisse se taisait. Raoul implora :

— Réfléchissez, Clarisse… Rappelez-vous… En dehors de ces cinq mots, vous n’avez pas vu ?…

— Je ne sais pas… je ne crois pas… gémit la jeune fille.

— Souvenez-vous… Il faut vous souvenir… Votre salut est à ce prix…

Mais le ton même que Raoul employait, et son affection frémissante pour Clarisse exaspéraient Joséphine Balsamo.

Elle empoigna le bras de la jeune fille et ordonna :

— Parle, sinon…

Clarisse balbutia, mais sans répondre. La Cagliostro donna un coup de sifflet strident.

Presque aussitôt Léonard surgit dans l’embrasure de la porte.

Elle commanda entre ses dents, d’une voix dont le timbre ne résonnait pas :

— Emmène-là, Léonard… et commence à l’interroger.

Raoul bondit dans ses liens.

— Ah ! lâche ! misérable ! s’écria-t-il. Qu’est-ce qu’on va lui faire ? Mais tu es donc la dernière des femmes ? Léonard, si tu touches à cette enfant, je te jure Dieu qu’un jour ou l’autre…

— Ce que tu as peur pour elle ! ricana Joséphine Balsamo. Hein ! l’idée qu’elle puisse souffrir te bouleverse ! Parbleu ! vous êtes faits pour vous entendre, tous les deux. La fille d’un assassin, et un voleur !

» Hé ! oui, un voleur, grinça-t-elle, en revenant à Clarisse. Un voleur, ton amant, pas autre chose ! Il n’a jamais vécu que de vols. Tout enfant il volait ! Pour te donner des fleurs, pour te donner la petite bague