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— Pourquoi voulez-vous sortir ? Quelles raisons ? Vous connaissez donc cette personne, et vous voulez l’empêcher… ou bien l’emmener avec vous ?… Quoi ?… Répondez donc ?…

Beaumagnan ne lâchait pas la poignée, tandis que Josine essayait de le retenir. Voyant qu’elle n’y parvenait pas, elle se tourna vers Léonard et, de sa main libre, lui montra l’épaule gauche de Beaumagnan avec un geste qui ordonnait à la fois de frapper et de frapper sans brusquerie. En une seconde Léonard tira de sa poche un stylet qu’il enfonça légèrement dans l’épaule de l’adversaire.

Celui-ci grogna :

— Ah ! la gueuse…

Et s’affaissa sur le dallage.

Elle dit tranquillement à Léonard :

— Aide-moi, et dépêchons-nous.

À eux deux, coupant la corde trop longue qui attachait Raoul, ils lièrent les bras et les jambes de Beaumagnan. Puis, après l’avoir assis et appuyé contre le mur, elle examina la plaie, la recouvrit d’un mouchoir, et dit :

— Ce n’est rien… à peine deux ou trois heures d’engourdissement… Prenons notre poste.

Ils se mirent à l’affût.

Tout cela elle l’exécuta sans hâte, la figure paisible, par gestes aussi mesurés que s’ils avaient été réglés d’avance. Quelques syllabes simplement pour donner des ordres. Mais sa voix, même assourdie, prenait un tel accent de triomphe que Raoul concevait une inquiétude croissante, et qu’il fut sur le point de crier et d’avertir celui ou celle qui, à son tour, allait tomber dans le guet-apens.

À quoi bon ? Rien ne pouvait s’opposer aux décisions redoutables de la Cagliostro. D’ailleurs il ne savait plus que faire. Son cerveau s’épuisait en idées absurdes. Et puis… et puis… il était trop tard. Un gémissement lui échappa : Clarisse d’Étigues entrait.



XII.

Démence et génie

Jusqu’ici Raoul n’avait ressenti qu’une peur plutôt morale, le danger ne menaçant que lui et la Cagliostro ; pour lui, il se confiait à son adresse et à sa bonne étoile ; pour la Cagliostro, il la savait de taille à se défendre contre Beaumagnan.

Mais Clarisse ! En présence de Joséphine Balsamo, Clarisse était comme une proie livrée aux ruses et à la cruauté de l’ennemi. Et, dès lors, la peur de Raoul se compliqua d’une sorte d’horreur physique qui, réellement, dressait ses cheveux sur sa tête et lui donnait ce que l’on appelle vulgairement la chair de poule. La face implacable de Léonard ajoutait à cette épouvante. Il se souvenait de la veuve Rousselin et de ses doigts tuméfiés.

En vérité, il avait vu juste lorsque, une heure plus tôt, venant au rendez-vous, il devinait que la grande bataille se préparait et qu’elle le mettrait aux prises avec Joséphine Balsamo. Jusqu’ici, simples escarmouches, engagements d’avant-garde. Maintenant, c’était la lutte à mort entre toutes les forces qui s’étaient affrontées, et Raoul s’y présentait, lui, les mains liées, la corde au cou, et avec ce surcroît d’affaiblissement que lui causait l’arrivée de Clarisse d’Étigues.

— Allons, se dit-il, j’ai encore beaucoup à apprendre. Cette situation affreuse, j’en suis à peu près responsable, et ma chère Clarisse une fois de plus est ma victime.

La jeune fille demeurait interdite sous la menace du revolver que Léonard tenait braqué. Elle était venue allégrement, comme on vient, un jour de vacances, à la rencontre de quelqu’un que l’on a plaisir à retrouver, et elle tombait au milieu de cette scène de violence et de crime, tandis que celui qu’elle aimait demeurait en face d’elle, immobile et captif.

Elle balbutia :

— Qu’y a-t-il, Raoul ? Pourquoi êtes-vous attaché ?

Elle tendait ses mains vers lui, autant pour implorer son aide que pour lui offrir la sienne. Mais que pouvaient-ils l’un et l’autre !

Il remarqua ses traits tirés et l’extrême lassitude de tout son être, et il dut se retenir de pleurer en pensant à la douloureuse confession qu’elle avait faite à son père et aux conséquences de la faute commise. Malgré tout, il lui dit, avec une assurance imperturbable :

— Je n’ai rien à craindre, Clarisse, et vous non plus, absolument rien. Je réponds de tout.