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Elle était la proie du délire, comme celui qu’elle torturait. Ses cris d’amoureuse semblaient lui faire autant de mal qu’à Beaumagnan. Raoul éprouvait, à la regarder ainsi, de l’éloignement plutôt que de la joie. La flamme de désir, d’admiration et d’amour, qui l’avait repris lors du danger, s’éteignit définitivement. La beauté et la séduction de Josine s’évanouissaient comme des mirages, et, sur sa figure, qui pourtant n’avait pas changé, il ne pouvait plus discerner que le vilain reflet d’une âme cruelle et malade.

Elle continuait son attaque furieuse contre Beaumagnan, lequel ripostait par soubresauts de colère jalouse. Et c’était vraiment une chose déconcertante de voir ces deux êtres, qui, au moment même où les circonstances allaient leur fournir le mot de la formidable énigme qu’ils cherchaient depuis si longtemps, oubliaient tout dans l’emportement de leur passion. Le grand secret des siècles précédents, la découverte des pierres précieuses, la borne légendaire, le coffret et l’inscription, la veuve Rousselin, la personne qui cheminait vers eux et leur donnerait la vérité… autant de balivernes dont ils se souciaient aussi peu l’un que l’autre. L’amour entraînait tout comme un torrent tumultueux. Haine et passion se livraient l’éternel combat qui déchire les amants.

De nouveau les doigts de Beaumagnan se pliaient comme des griffes, et ses mains frémissantes se postaient pour étrangler. Elle s’acharnait cependant, aveugle et désordonnée, et lui jetait en pleine face l’injure de son amour !

— Je l’aime, Beaumagnan. Le feu qui te brûle et me dévore aussi, c’est un amour comme le tien où se mêle l’idée de meurtre et de la mort. Oui, je le tuerais plutôt que de le savoir à une autre, ou de savoir qu’il ne m’aime plus. Mais il m’aime, Beaumagnan, il m’aime, tu entends, il m’aime !

Un rire inattendu sortit de la bouche convulsée de Beaumagnan. Sa colère s’achevait en un accès d’hilarité sardonique.

— Il t’aime, Joséphine Balsamo ? Tu as raison, il t’aime ! Il t’aime comme toutes les femmes. Tu es belle, et il te désire. Une autre passe, et il la veut aussi. Et toi également, Joséphine Balsamo, tu souffres l’enfer. Avoue-le donc !

— L’enfer, oui, dit-elle, l’enfer si je croyais à sa trahison. Mais cela n’est pas, et tu essaies stupidement de…

Elle s’arrêta. Beaumagnan ricanait avec tant de joie et de méchanceté qu’elle avait peur. Très bas, d’un ton d’angoisse, elle reprit :

— Une preuve ?… Donne-moi une seule preuve… Même pas… une indication… quelque chose qui m’oblige à douter… Et je l’abats comme un chien.

Elle avait tiré de son corsage un petit casse-tête fait d’un manche de baleine et d’une boule de plomb. Son regard se durcit.

Beaumagnan répliqua :

— Je ne t’apporte pas de quoi douter, mais de quoi être sûre.

— Parle… Cite un nom.

— Clarisse d’Étigues, dit-il.

Elle haussa les épaules.

— Je sais… une amourette sans importance.

— Assez importante pour lui, puisqu’il l’a demandée en mariage au père.

— Il l’a demandée ! Mais non, voyons c’est impossible… Je me suis renseignée… Ils se sont rencontrés deux ou trois fois dans la campagne, pas davantage.

— Mieux que cela, dans la chambre de la petite.

— Tu mens ! tu mens ! s’écria-t-elle.

— Dis plutôt que c’est son père qui ment, car la chose m’a été confiée, avant-hier soir, par Godefroy d’Étigues.

— Et lui, de qui la tenait-il ?

— De Clarisse elle-même.

— Mais c’est absurde Une fille ne fait pas un tel aveu.

Beaumagnan plaisanta :

— Il y a des cas où elle est bien obligée de le faire.

— Hein ? Quoi ? Qu’est-ce que tu oses dire ?

— Je dis ce qui est… Ce n’est pas l’amante qui s’est confessée, c’est la mère… la mère qui veut assurer un nom à l’enfant qu’elle porte en elle, la mère qui réclame le mariage.

Joséphine Balsamo semblait suffoquée, désemparée.