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Les preuves s’ajoutaient aux preuves. Les événements se reliaient les uns aux autres comme les mailles d’une chaîne.

Empêtrée dans l’affaire Rousselin, et, par conséquent, recherchée par Beaumagnan, Josine n’avait pas manqué, elle aussi, de rôder aux environs du vieux phare. Aussitôt averti, Beaumagnan tentait son embuscade. Raoul y tombait. Au tour de Josine maintenant…

On eût dit que le destin voulait donner une confirmation à la suite des idées qui se succédaient dans l’esprit de Raoul. À la seconde même où il concluait, le bruit d’une voiture monta de la route qui longe le canal, au-dessous des falaises, et, instantanément, Raoul reconnut le pas précipité des petits chevaux de Léonard.

Beaumagnan, de son côté, devait savoir à quoi s’en tenir, car il se releva d’un mouvement et prêta l’oreille.

Le bruit des sabots cessa, puis reprit, moins rapide. La voiture escaladait un raidillon rocailleux qui grimpe vers le plateau, et d’où se détache la sente forestière, impraticable aux voitures, qui franchit les escarpements du vieux phare.

Dans cinq minutes, tout au plus, Joséphine Balsamo apparaîtrait.

Chaque seconde de chacune des minutes solennelles accrut l’agitation et le délire de Beaumagnan. Il bégayait des syllabes incohérentes. Son masque d’acteur romantique se déformait jusqu’à donner une impression de laideur bestiale. L’instinct, la volonté du meurtre tordait ses traits, et, tout à coup, il fut visible que cette volonté, que cet instinct de sauvage se portait contre Raoul, contre l’amant de Joséphine Balsamo.

De nouveau les jambes se levaient mécaniquement pour frapper le carrelage. Il marchait à son insu, et il allait tuer à son insu, comme un homme ivre. Ses bras se raidissaient. Ses poings crispés avançaient ainsi que deux béliers qu’une force lente, continue, irrésistible, eût poussés jusqu’à la poitrine du jeune homme.

Encore quelques pas, et Raoul basculait dans le vide.

Raoul ferma les yeux. Pourtant il ne se résignait point et cherchait à conserver quelque espoir.

— La corde cassera, pensait-il, et il y aura de la mousse sur les pierres qui me recevront. En vérité, la destinée du sieur Arsène Lupin d’Andrésy n’est pas d’être pendu. Si, à mon âge, je n’ai pas la chance de me tirer d’aventures de ce genre, c’est que les dieux, jusqu’ici favorables, n’ont plus l’intention de s’occuper de moi ! En ce cas, aucun regret !

Il songea à son père et à l’enseignement de gymnastique et de voltige qu’il tenait de Théophraste Lupin… Il murmura le nom de Clarisse…

Cependant le choc ne se produisait pas. Bien qu’il sentît contre lui la présence même de Beaumagnan, il semblait que l’élan de l’adversaire fût arrêté.

Raoul releva les paupières. Beaumagnan, tout droit, le dominait de sa haute taille. Mais il ne bougeait point, ses bras étaient repliés, et, sur son visage, où l’idée de meurtre imprimait une grimace abominable, la décision semblait comme suspendue.

Raoul écouta et n’entendit rien. Mais peut-être Beaumagnan, dont les sens étaient surexcités, entendait-il l’approche de Joséphine Balsamo ? De fait, il reculait pas à pas, et soudain, se précipitant, il reprit son poste dans le renfoncement, à droite de la porte.

Raoul le voyait en pleine face. Il était hideux. Un chasseur à l’affût épaule son fusil et recommence plusieurs fois ce geste pour être à même de l’exécuter à l’instant voulu. Ainsi, chez Beaumagnan, les mains s’apprêtaient convulsivement au crime. Elles s’ouvraient pour l’étranglement, se mettaient à distance convenable l’une de l’autre, crispaient leurs doigts recourbés comme des griffes.

Raoul fut épouvanté. Son impuissance était une chose terrible, dont il souffrait jusqu’au martyre.

Bien qu’il sût la vanité de tout effort, il se débattait pour rompre ses liens. Ah ! s’il avait pu crier ! Mais le bâillon étouffait ses cris, et les liens lui coupaient la chair.

Dehors, dans le grand silence, un bruit de pas. La barrière grinça. Une jupe froissa les feuilles. Des cailloux remuèrent.

Beaumagnan, aplati contre le mur, leva les coudes. Ses mains, qui tremblaient comme des mains de squelette qu’agite le