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— Où ?

— À Lillebonne, entre Rouen et le Havre.

— Je sais. Et ce coffret provenait ?…

— Je l’ignore. Je ne l’ai pas demandé à maman.

— Vous avez trouvé les pierres comme elles sont maintenant ?

— Non, elles étaient montées en bagues sur de gros anneaux d’argent.

— Et ces anneaux ?

— Je les avais encore hier dans ma boîte de maquillage au théâtre.

— Vous ne les avez donc plus ?

— Non, je les ai cédés à un monsieur qui est venu me féliciter dans ma loge et qui les a vus par hasard.

— Il était seul ?

— Avec deux messieurs. C’est un collectionneur. Je lui ai promis de lui rapporter les sept pierres aujourd’hui à trois heures afin qu’il reconstitue les bagues. Il doit me les racheter un bon prix.

— Ces anneaux portent des inscriptions à l’intérieur ?

— Oui… des mots en caractères anciens, auxquels je n’ai pas fait attention.

Raoul réfléchit et conclut d’une voix un peu grave :

— Je vous conseille de garder le secret le plus absolu sur tous ces événements. Sinon, l’affaire pourrait avoir des conséquences fâcheuses, non pas pour vous, mais pour votre mère. Il est assez étonnant qu’elle dissimule chez elle des bagues, sans valeur évidemment, mais d’un grand intérêt historique.

Brigitte Rousselin s’effara :

— Je suis toute prête à les rendre.

— Inutile. Conservez les pierres. Moi, je vais exiger en votre nom la restitution des anneaux. Où demeure ce monsieur ?

— Rue de Vaugirard.

— Son nom ?

— Beaumagnan.

— Bien. Un dernier conseil, mademoiselle. Quittez cette maison. Elle est trop isolée. Et pendant quelque temps (mettons un mois) allez vivre à l’hôtel avec votre femme de chambre. Vous n’y recevrez personne. C’est convenu ?

— Oui, monsieur.

Dehors, Joséphine Balsamo s’accrocha au bras de Raoul d’Andrésy. Elle semblait très agitée et bien loin de toute idée de vengeance et de rancune. À la fin, elle lui dit :

— J’ai compris, n’est-ce pas ? Tu vas chez lui ?

— Chez Beaumagnan.

— C’est de la démence.

— Pourquoi ?

— Chez Beaumagnan ! Et à une heure où tu sais qu’il est chez lui, avec les deux autres.

— Deux plus un égale trois.

— N’y va pas, je t’en prie.

— Et après ? Crois-tu qu’ils me mangeront ?

— Beaumagnan est capable de tout.

— C’est donc un anthropophage ?

— Oh ! ne ris pas, Raoul !

— Ne pleure pas, Josine.

Il sentit qu’elle était sincère et que, par un retour de tendresse féminine, elle oubliait leur désaccord, et tremblait pour lui.

— N’y va pas, Raoul, répéta-t-elle. Je connais le logis de Beaumagnan. Les trois bandits se jetteraient sur toi, que personne ne pourrait te secourir.

— Tant mieux, dit-il, car personne ne pourrait les secourir non plus, eux.

— Raoul, Raoul, tu plaisantes, et cependant…

Il la pressa contre lui.

— Écoute, Josine, j’arrive bon dernier au milieu d’une affaire colossale où je me trouve en présence de deux organisations puissantes, la tienne et celle de Beaumagnan qui, toutes les deux, naturellement, se refusent à m’accueillir, moi, troisième larron… de sorte que si je n’emploie pas les grands moyens, je risque de demeurer Gros-Jean comme devant. Laisse-moi donc m’arranger avec notre ennemi, Beaumagnan, de la même manière que je me suis arrangé avec mon amie Joséphine Balsamo. Je ne m’y suis pas trop mal pris, n’est-ce pas, et tu ne peux pas nier que j’aie quelques cordes à mon arc ?…

C’était la blesser de nouveau. Elle dégagea son bras, et ils marchèrent l’un près de l’autre, en silence.

Au fond de lui, Raoul se demandait si son adversaire le plus implacable n’était pas cette femme au doux visage qu’il aimait si ardemment et de qui il était si ardemment aimé.


IX.

La Roche Tarpéienne


— Monsieur Beaumagnan, c’est ici ?

À l’intérieur, le battant d’un judas avait été tiré, et le visage d’un vieux domestique se collait à la grille.

— C’est ici. Mais monsieur ne reçoit pas.

— Allez lui dire que c’est de la part de Mlle Brigitte Rousselin.

Le logis de Beaumagnan, qui occupait le rez-de-chaussée, formait hôtel avec le premier étage. Pas de concierge. Pas de sonnette. Un marteau de fer qu’on heurtait contre une porte massive munie d’un guichet de prison.